Premiers mai : Belgique – Rwanda – …

3 mai 2016

Premiers mai : Belgique – Rwanda – …

-1er mai 2014 : Bon, autant vous l’avouer tout de suite, les discours de 1er mai m’ont longtemps pas mal fait marrer. A l’époque, je travaillais dans un pays qui se classait dans le top 5 des meilleurs élèves en matière de salaire minimums, dans un pays où les syndicats paraissaient encore tellement puissants qu’ils semblaient, pour un oui ou pour un non, pouvoir mobiliser une énorme masse de travailleurs en l’envoyant manifester.

Dans ce contexte, entendre parler d’âpres combats et de luttes acharnées pour les droits des travailleurs, je vous l’avoue, ça me faisait bien rigoler. Personnellement, j’avais du mal à réussir à croire à la prose chevaleresque de Marc Goblet. Le secrétaire général de la FGTB en Roland furieux au fond du gouffre de Roncevaux, ça collait pas trop.

 

Ça, c’était avant. Avant que je ne change de continent. Bilan du week-end :

 

-vendredi 29 avril 2016 : les employés de la fonction publique ont officiellement congé l’après-midi pour saisir l’occasion de pratiquer une activité sportive. Alors que je file en moto vers mon dernier cours de la journée, je croise une manifestation paisible de fonctionnaires. Derrière leurs banderoles, quelques-uns d’entre eux ont choisi de convertir leur activité sportive hebdomadaire en marche symbolique pour le droit à des conditions de travail décentes. Franchement, de quoi se plaignent-ils ? Certes,  le droit rwandais permet de renouveler indéfiniment les CDD mais bon, quand on a du travail, on ne va quand même pas se plaindre !

-samedi 30 avril 2016 : Je prends le bateau à 7h pour aller me prélasser sur le bord du lac Kivu. Notre salaire de professeur dans une école privée nous permet de nous offrir de tels week-ends de vacances tous les mois sans que cela ne grève trop notre budget. Pendant ce temps, mon linge est repassé, plié, rangé, ma maison est balayée, nettoyée et mon chien est nourri sans que nous ayons, avec quelques voisins, à dépenser plus de 180€ par mois tous ensemble. J’ai beau savoir qu’au regard des 30 € par mois que gagne une balayeuse de rue, c’est grassement payé, je me demande souvent comment je vivrais, moi, avec un quart de mon salaire et une famille à nourrir.

-dimanche 1er mai 2016 : Je me prélasse sur les bords du lac Kivu. Pendant que j’explore les plantations de café en compagnie de leur propriétaire, les saisonniers, de leur côté, entretiennent l’exploitation, récoltent les baies et s’esquintent les mains et les pieds sur les pentes abruptes du bord du lac. La saison est mauvaise cette année, on n’a pas eu besoin d’autant de travailleurs qu’à l’accoutumée. Tant pis pour eux. Ils n’auront qu’à prier pour que la saison prochaine soit plus prospère. Rassurez-vous, en Europe, le prix du café ne devrait pas augmenter. Cherchez l’erreur.

torréfaction de café
torréfaction de café

-lundi 2 mai 2016 : en ce jour férié officiel, j’ai regagné une ville de Kigali aussi bouillonnante d’activité qu’à l’accoutumée. Comme tous les jours, dimanches compris, les ouvriers du bâtiment qui construisent des hôtels tout autour de chez moi sont à pied d’œuvre dès l’aube.  Il faut mettre les bouchées doubles : Kigali accueille le sommet économique mondial de Davos d’ici une dizaine de jours. Quelle protection pour les acteurs de ce rush perpétuel ? Je n’ose pas trop l’imaginer. Que deviendront les ouvriers quand la frénésie constructrice sera retombée au Rwanda ? Mieux vaut ne pas y penser.

Pendant ce temps, en Europe, tout va bien semble-t-il. Il parait que je n’aurai droit à aucun chômage le jour où je reviendrai. Il parait qu’on est en train d’expliquer aux citoyens qu’il faut travailler plus et plus longtemps pour faire un monde meilleur. Il parait qu’on leur explique qu’ils peuvent s’investir dans une organisation syndicale mais que ce sera à leurs risques et périls si ça ne plait pas à leur patron. Il parait qu’en libéralisant le commerce avec le Canada et les Etats-Unis, leur position ne serait pas plus précaire… Il parait qu’en France, on passe la nuit debout…

 

– 1er mai 2017 : Alors on fait quoi, maintenant ? D’aucun me diront qu’il faut comparer ce qui est comparable. A quoi je répondrai qu’en soi, un travailleur et un travailleur, a priori, ça n’a pas grand-chose de différent. D’autant que quand des petits malins expatriés s’amusent à passer d’un marché du travail X à un marché du travail Y, on ne voit pas trop sur quels critères on pourrait soutenir que les deux mondes n’ont rien à voir.  Au fond, si le 1er mai est fêté le même jour aux deux bouts du vol Bruxelles-Kigali, c’est probablement pour une meilleure raison que la possibilité d’écouter, en direct live, les discours illuminés de quelque Jeanne d’Arc moderne. Cette date commune, on pourrait la prendre comme une proposition toute bête : celle qui proposerait à des citoyens fatigués par les discours démagos d’être simplement, complètement, authentiquement solidaires.

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