Kigali en noir et blanc

Article : Kigali en noir et blanc
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29 mai 2016

Kigali en noir et blanc

Kigali est une ville fantastique!

Au cœur du Rwanda, à chaque coin de rue, on tombe sur des lieux qui font mentir les clichés traditionnels de la métropole africaine, soi-disant invariablement vétuste, bruyante, crasseuse et dénuée de charme. A cent mètres de chez moi, The Office offre un espace de coworking jeune et convivial comme on souhaiterait en voir fleurir dans toutes les villes du monde. Rwanda Clothing crée des vêtements avec une touche de pagne dont l’élégance est inégalable. Une journée ne suffirait pas à parcourir les nombreuses galeries d’art de la capitale rwandaise et l’on devrait, dans un parcours pareil, impérativement faire un arrêt gourmand au Bourbon Coffee, salon de thé qui offre au gastronome de succulentes pâtisseries. En soirée, soucieux de se poser dans un lieu aussi charmant qu’intimiste, le gourmet ira prendre un couvert à la table d’hôte de France, O’Tamarillo.
The Office Kigali-min

Vraiment, Kigali est une ville fantastique!

J’en étais à me faire ces réflexions, assis, précisément, à une table de la chaleureuse librairie Ikirezi, grignotant un brownies quand, sans trop savoir pourquoi, je relevai les yeux du roman dont je venais de faire l’acquisition. Autour de moi, profitant du calme douillet de l’endroit n’étaient assis que… des blancs. J’avais beau me contorsionner pour regarder dans toutes les directions, le visage le plus sombre devait être celui d’une fonctionnaire hispanique en poste dans une des ambassades européennes voisines. Surpris, d’abord, je me dis qu’à la réflexion, il en allait en réalité de même pour tous les lieux atypiques auxquels je venais de penser.
Comme un château de cartes, la supercherie s’effondrait. Certes, on trouvait au cœur de l’Afrique, des endroits d’un charme inouï, mais s’ils n’étaient fréquentés, tenus parfois, que par des expatriés occidentaux, qu’est ce qui changeait, fondamentalement, par rapport au charme colonial du temps où les Européens étaient venus recréer leur mère-patrie sous les tropiques ?

À l’instar d’un explorateur qui, pensant accoster sur un nouveau rivage, s’aperçoit déçu, en approchant des falaises, qu’il s’agit en fait de son pays d’origine, je découvrais, mal à l’aise, le dépaysement factice de ces lieux que l’on aurait, somme toute, retrouvé presqu’à l’identique en Europe. Mais tout est dans ce « presque » justement ! Abandonnant le navire, je plongeai dans cette brèche comme dans un flot inconnu. Si les récifs étaient familiers, ils étaient baignés d’une eau nouvelle.

La clientèle blanche fait écran à une réalité bien plus subtile que celle d’une nostalgie coloniale douteuse. Alors que la librairie Ikirezi propose presqu’exclusivement des romans, des études et des bandes dessinées consacrée au continent noir, le Bourbon Coffee offre au gourmet quatre variétés de café issues des quatre coins du Rwanda. Les pagnes de Rwanda Clothing n’ont rien d’Européen. Pour avoir fait, avec France, le tour des fournisseurs de sa table d’hôte, je puis vous assurer qu’elle entend mettre les produits rwandais à l’honneur dans ses assiettes. Les amateurs d’art ne trouveront rien qui ne soit authentiquement rwandais dans les galeries et même The Office, fréquenté par les employés de l’une ou l’autre agence internationale, projette, sur son toit des films issus des quatre coins du continent.

Ouf, ces lieux ménagent donc une place à l’Afrique. Mais quelle est l’authenticité de cette dernière si elle est filtrée et n’est réfractée que pour l’intérêt d’un public occidental ? Ne serait-ce pas, pour reprendre la parodie d’une affiche du roi Lion, une honteuse « Afrique sans africains », une Afrique de couleurs, de saveurs et d’odeurs mais une Afrique, finalement, sans âme que cette Afrique que l’on vend en ces lieux à des bazungu venus chercher, à prix d’or, le dépaysement et l’exotisme ?

A mesure que je réfléchissais, un rwandais, puis deux, puis trois étaient venus s’asseoir à une table de la librairie Ikirezi. Si la majorité des lecteurs restaient blancs de peau, je me dis que, comme un timide ballet de séduction, les deux cultures battaient des cils l’une envers l’autre. Comme dans les films à l’eau de rose, les deux partenaires sont séparés encore par le fossé énorme d’une langue, d’une histoire, d’une organisation sociale et de traditions culturelles qui rendent la rencontre presqu’improbable. L’écart est encore grand mais tout est en place pour que les cultures se rencontrent, se marient et accouchent d’un métis. Des deux côtés de la barrière mélanine, des gens s’amusent à sauter le fossé parce qu’ils croient, au plus profond d’eux-même, que cette rencontre est possible.

Lundi prochain, on va au théâtre, c’est l’institut français qui organise et la pièce s’intitule « Sony Congo, ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi« . Quand je vous dis qu’à Kigali, on trouve des fous qui croient au métissage…

Concert Madjo Institut français du Rwanda

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Commentaires

Simon Decreuze
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Bonjour Tanguy, comme tu peux le voir, j'ai modifié certaines de tes images, rajoutez des liens, rajouter ta photo dans la colonne de droite. Bravo pour ton article. Libre à toi de remettre en cause mes modifications, elles ne sont là qu'à titre d'exemple pour te montrer ce que tu peux faire.
PS: Ce commentaire n'a pas vocation à être publié

Tanguy Wera
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Bonjour Simon, les modifications sont tout à fait pertinentes, merci, il n'y a rien à enlever. Il me semble que je devrais être capable d'en intégrer de semblables par moi-même par la suite. Par contre, deux choses :
1) comment faire pour poursuivre notre discussion sans qu'elle apparaisse en commentaire au bas de cet article? ;)
2) J'ai remarqué que les onglets de lien vers mes anciens articles ne comportaient pas d'illustration. Y-a-t-il un moyen pour que les illustrations qui apparaissent au sein des articles deviennent des "pastilles" qui apparaissent en lien à côté des titres de ces articles