chasse, pêche et trahison

Article : chasse, pêche et trahison
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27 février 2017

chasse, pêche et trahison

J’habite un pays d’élevage. Perchée à flanc de colline, ma maison côtoie une ferme dont le cheptel bovin totalise, à lui seul, plus de têtes que le hameau ne compte d’âmes humaines. J’habite un pays de chasse. Surplombant une vallée boisée, j’entends résonner, dès que l’automne enflamme les forêts, les coups de feu de ceux qui, d’un geste précis, viendront peut-être orner ma table de Noël d’un civet de chevreuil, de lièvre ou de marcassin.

Jeunes filles au village- Gustave Courbet. Il faudra quand même qu’il m’explique de quel village il parle…

Ainsi, autour de chez moi, l’animal comestible rythme les saisons et ponctue le paysage. Alors, annoncer que je m’apprête à participer à une opération de réduction de la quantité de viande qui finit dans mon assiette, c’est un peu comme pisser sur l’image d’Épinal de la vie champêtre que Gustave Courbet vous dresse depuis le début de cet article.

Après la chasse, Gustave Courbet, ou le réalisme des bottes impeccables après une journée dans les bois…

Une campagne de mauvais goût

Du coup, c’est décidé, je ne participerai pas à l’opération « 40 jours sans viande ».

N’hésitez pas à lire, ça rend moins bête parait-il.

Pas parce que j’ai un problème avec les sponsors de l’organisation. D’ailleurs, j’ai moi-même de l’argent chez Triodos depuis un bon moment et j’ai encore 20 ans de crédit hypothécaire à leur rembourser.

Pas parce que j’ai un souci avec l’effet de mode de ce genre d’opération. Je termine péniblement un mois sans alcool au profit de la lutte contre le cancer (et surtout contre mon embonpoint naissant) où j’ai tenté de me convaincre que le Chardonnay dévinifié goûtait autre chose qu’un mauvais pinard. Alors vous imaginez bien que moi, les effets de mode…

Pas parce que je doute de leurs affirmations sur l’impact écologique de l’élevage bovin. Mais stop, je me suis promis de ne pas faire de plaidoyer ici. En effet,il semblerait que dès que l’on prend la parole sur le sujet de la bidoche, on devient immédiatement un dangereux activiste donneur de leçon qui viole l’intimité de l’assiette de notre interlocuteur.

Non, je ne participerai pas à l’opération « 40 jours sans viande » … parce qu’en réalité, ça fait six ans que je tente de réduire ma consommation de viande (et que, bon an, mal an, j’y arrive). En mars, je serai juste un peu plus attentif que d’habitude.

Voilà. C’est dit. Je viens de me griller auprès de la moitié de la population de ma commune.

Eux et nous

Lors d’un débat sur une chaîne publique de mon pays, on m’a clairement fait comprendre qu’il y avait une sorte d’opposition viscérale, de guerre ouverte entre « Eux » et « Nous », entre ceux qui choisissent de réfléchir à leur consommation de viande et ceux qui, juste à côté, réfléchissent à sa production. Bizarre…

regardez le débat au complet sur le site de la RTBF , c’est toujours mieux que de se fier à un titre accrocheur!

Bizarre parce que le jour où j’ai pris une part dans une coopérative laitière qui soutient une juste rémunération des agriculteurs de chez nous (et du Sud), je pensais n’être pas l’adversaire tout désigné des éleveurs du cru.

Pour passer à l’action, c’est ici que ça se passe!

Bizarre : le jour où j’ai proposé à un agriculteur de venir faucher mon pré et d’emporter la majorité des ballots, je ne me sentais pas dans une position tellement hostile envers ses ruminants…

Bizarre parce que le jour où, sans scrupule, j’ai délié les cordons de ma bourse dans ce chouette resto du village d’à côté, je croyais n’être pas à couteau tiré avec les éleveurs environnants. J’avoue, j’avais une arme blanche en main, mais c’était plutôt pour m’en prendre au steak saignant dont la patronne m’avait affirmé qu’il était local, que pour commettre un agriculteuricide.

Allez faire un tour aux Doux Ragots si vous êtes dans le coin, ça vaut le détour!

Bizarre, enfin, puisque j’étais convaincu qu’il était tout à fait possible d’arriver à être, à la fois, un consommateur scrupuleux et… un citoyen engagé, un voisin sympa, un fin gourmet… On m’aurait donc menti ? Il serait foncièrement impossible de vivre sans trop de contradictions en se prétendant vaguement soucieux de l’environnement ET de son voisinage paysan?

Alors…

Au fond, plus j’y pense et plus je me demande : Qui participe à décrédibiliser l’image du fermier wallon ?

Le végétarien intermittent prêt à payer quelquefois le prix juste pour un pavé de bœuf ou l’agriculteur qui gave son bétail aux tourteaux de soja qui ont fait trois fois le tour de la planète avant d’arriver dans la mangeoire de ses ruminants ?

Qui a la plus grosse part de responsabilité dans la précarité actuelle des agriculteurs ?

Le mec qui mange de temps à autre un burger de légumes ou bien le ministre de la ruralité qui se sert du consommateur responsable comme d’un épouvantail pour flatter ses électeurs ruraux ?

Qu’aurions-nous à perdre à faire converger nos luttes ?

Et à Stéphane Delogne, porte-parole de la FUGEA qui scande « Il ne faut pas 40 jours sans viande mais 40 jours d’achats locaux, dans les fermes » je répondrai que ce ne sont pas 40 jours d’achats locaux qu’il faut pour changer la vie des agriculteurs wallons, c’est 365. Et je suis prêt à parier que, à l’échelle de la population toute entière, les consommateurs modérés de viande ne seraient pas les derniers à adhérer à ce genre d’opération.

Et à supposer qu’on ait pour but commun de sauvegarder l’environnement et les humains qui le cultivent, si on évitait de se lancer dans des querelles aussi stériles qu’un bœuf tentant de s’accoupler avec un steak de tofu ?

 

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Commentaires

Ianjatiana
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tu as réussi à placer les peintures dans ton article "contemporain" !
J'ai l'impression que dans le monde actuel les gens ont besoin que l'on catégorise tout : sois tu es dans le bon camp, sois tu es dans celui des méchants : sois tu ne mange pas de la viande, sois tu es le vilain méchant qui n'aide pas les éleveurs/agriculteurs, il n'y a jamais de juste milieu et de dialogue possible...