Mai 68 – Octobre 2018

Article : Mai 68 – Octobre 2018
Crédit:
3 mars 2018

Mai 68 – Octobre 2018

Mars 2008

J’ai 18 ans, je suis étudiant et je passe mes journées d’ennui à ruminer sur les bancs de la classe une frustration extrême : je suis né 40 ans trop tard !

Année de commémoration oblige, dans toutes les librairies commencent à fleurir les publications sur mai 68. Compulsivement, j’achète tout, ou presque, et passe des heures à rêver devant les slogans sérigraphiés, les discours de Luther King et les portraits de Daniel Cohn Bendit. Dans le lot de mes achats livresques, j’ai d’ailleurs fait l’acquisition de son dernier ouvrage paru pour l’occasion : forget 68, mais je n’arrive pas à le lire. Même dans la bouche de l’ancien leadeur étudiant, je ne peux concevoir qu’il faille passer outre cet âge doré : Sorbonne occupée, minibus Volkswagen, Woodstock, guerre du Vietnam, Guy Debord et sa société du spectacle

Je me regarde et vois ma vie d’alors : un militantisme maladroit contre les dispositifs antijeunes, la guerre en Irak, mon premier festival, le bus qu’on retape pour partir avec les mouvements de jeunesse… lucide, je me dis que ce que je vis n’est qu’une pâle copie décevante des révolutions de mes ainés. Ça me déprime.

Mars 2018

Même école, 10 ans plus tard, j’y suis prof et je passe mes journées à escalader les bancs de la même classe avec une satisfaction à toute épreuve : je ne suis pas né 40 ans trop tard !

À l’école, un ingénieur militant est venu sensibiliser les élèves aux implications de la fin du pétrole accessible et aux aberrations du nucléaire. Un élève qui vient de voir sa foi en la technologie complètement ébranlée lui demande s’il reste des raisons d’être optimiste face aux défis qui nous attendent. Au regard des chiffres une fois de plus mis sur la table, la question semble presque naïve. Les changements structurels nécessaires pour que l’humain s’en sorte sur cette planète sont tellement ambitieux qu’on aurait bien plus de facilités à abandonner tout espoir dès aujourd’hui.

 

Forget 68

Le bouquin de Cohn-Bendit prend la poussière dans un coin de ma bibliothèque, il fait partie des nombreux livres que je dois finir un jour quand j’aurai le temps, mais, qu’importe, j’en suis convaincu aujourd’hui : bien sûr, il faut oublier 68 et regarder vers l’avenir.

Arrivé à ce point de l’article, vous n’avez plus aucun doute : je suis un inquiétant schizophrène atteint de troubles dissociatifs avec personnalités multiples. Dépité et anxieux à l’âge où je baignais dans les rêves de révolution étudiante, satisfait et serein à l’âge où j’ai compris que le monde courait à sa perte, je suis un spécimen psychologiquement défaillant.

Qu’est-ce qui a changé en 10 ans ? Comment la nostalgie d’une époque que je n’avais pas connue s’est-elle transformée en optimisme à l’égard d’un avenir qu’aucun de nous ne connaitra sans doute ?

Une seule chose !

En 2008, les yeux rivés sur l’Ancien Monde, j’étais persuadé que les seuls moyens de changer le monde que je pouvais avoir, c’était de voter, de manifester et de scander des belles paroles à qui voulait bien l’entendre… généralement des gens déjà convaincus.

Aujourd’hui, en 2018, j’ai la certitude que c’était une portion ridicule des gestes militants. Aujourd’hui, je sais que, beaucoup plus efficacement qu’un militant de mai 68 écoutant Sartre à la Sorbonne, j’ai la possibilité de changer le monde.

Changer le monde

Parce qu’aujourd’hui, bien plus qu’en 2008, je sais qu’en choisissant où je travaille, je change le monde.

En choisissant ce que je mange, je change le monde.

En choisissant comment je me déplace, je change le monde.

En choisissant comment je me chauffe et je m’éclaire, je change le monde.

En choisissant comment je construis ma maison, je change le monde.

En choisissant comment j’éduque mon fils, je change le monde.

En choisissant ma banque, mon slip, ma bière, mon téléphone… bref, vous avez compris.

Est-ce que je change le monde « assez » n’est pas une question pertinente. Est-ce que je le change dans la bonne direction est la seule qui doive nous préoccuper et sur ce point, on commence à être nombreux à partager les mêmes constats et à agir au quotidien.

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Hippolyte Batumbla
Répondre

J'ai aimé cette façon de raconter, de mener la danse des mots jusqu'au dernier, j'ai juste envie de dire- waou

Tanguy Wera
Répondre

Merci :)

delikatissen
Répondre

Merci tanguywera, bon après-midi, bisous

Marie Luce Tossings
Répondre

Votre façon d'écrire les choses me touche, dans ce pessimisme ambiant dans lequel nous vivons, cela fait du bien, un peu comme de fine pluie sur le desert. Merci

Marie Luce Tossings
Répondre

Votre façon d'écrire les choses me touche, dans ce pessimisme ambiant dans lequel nous vivons, cela fait du bien, un peu comme une fine pluie sur le desert. Merci