À ceux qui voudraient que l’on se taise…

Article : À ceux qui voudraient que l’on se taise…
Crédit:
3 avril 2020

À ceux qui voudraient que l’on se taise…

(CCO)

Depuis un moment, je crois décent de me taire.

On me dit que si je partage mon sentiment de bien-être en plein confinement, si je révèle le bonheur d’avoir ralenti le rythme, de m’être retrouvé en famille, ce sera comme cracher aux visages de celles et ceux qui triment, de celles et ceux qui sont endeuillé·e·s ou qui guettent la fragilité d’une vie qui s’essouffle.

Alors je me tais, je ne veux pas être indécent.

On me dit que je ne peux pas révéler mon bonheur de vivre à la campagne, d’avaler chaque matin de pleines bouffées d’air frais, d’empoigner ma bêche pour retourner la terre, d’enfiler mes baskets et d’aller faire un tour. On me dit que ce bonheur-là est « petit-bourgeois », qu’il révèle une fracture entre classes, entre celles et ceux qui possèdent quatre façades et celles et ceux qui n’ont que quelques mètres carrés où se mouvoir, celles et ceux qui dorment dehors.

Alors je me tais, je ne veux pas ressembler à un petit-bourgeois égoïste et aveugle.

On me dit qu’en tant qu’écologiste, je ne peux pas me réjouir de cette pause salvatrice pour notre environnement. Je ne peux pas me réjouir, même si en faisant chuter drastiquement la pollution de l’air, on a probablement déjà sauvé plus de vie qu’avec n’importe quel antidote au coronavirus. Je ne peux pas me réjouir même si ce temps retrouvé nous permet de soutenir en masse nos circuits courts et nos producteurs locaux. Je ne peux pas me réjouir d’une décroissance contrainte parce que ce serait naïf de ne pas voir que la relance qui s’en vient aura tôt fait de balayer cette parenthèse pour un triste « retour à la normale ».

Alors je me tais, je n’ai pas envie de paraitre naïf.

Josephine Amalie Paysen sur Unsplash (CCO)

Le problème avec le bonheur…

Mais le bonheur me brûle les doigts et je ne peux m’empêcher de vous en refiler un peu.

Si je veux partager mon bonheur avec vous, ce n’est pas contre celles et ceux qui aujourd’hui triment, qui vivent le deuil ou la distance, c’est précisément pour eux que je veux le faire : parce que la décence exige qu’au lendemain de la crise, on ait mieux à leur offrir qu’une vie à flux tendu, aux budgets comprimés où le temps familial est sans cesse reporté, grignoté pour un travail « plus efficace ».

Si je veux partager mon bonheur avec vous, ce n’est parce que j’ignore la situation de ces familles qui tournent en rond dans un appartement insalubre, c’est précisément pour elles que je veux le faire : parce que si la crise nous a rendus lucides, alors exigeons que demain, encore plus qu’hier, on fasse une politique du logement digne de ce nom. Exigeons qu’on pense à aménager des espaces publics où tout le monde se sente chez soi, exigeons qu’on ramène la nature au cœur des villes.

Robert Collins sur Unsplash (CCO)

Si je veux partager mon bonheur avec vous, ce n’est pas pour m’extasier sur ce temps suspendu pendant lequel l’environnement se porte mieux. Je sais que ces semaines de répit ne sont rien au regard d’un climat qu’on dérègle depuis des décennies.

Si je veux vous partager mon bonheur, c’est pour que vous sachiez à quel point c’est précieux de se réveiller chaque matin en sachant que l’air que respireront nos enfants au fil de la journée ne les tuera pas à petits feux. C’est pour que vous sachiez à quel point cela rend heureux d’avoir dans un rayon de 10 kilomètres autour de chez soi des hommes et des femmes aux mains d’or qui peuvent cultiver, transformer, réparer, créer un tout autre monde que celui qu’on importe par paquebot.

Ce monde-là, il est solide, nous avions déjà commencé à le construire avant la crise. La crise est arrivée, il est resté là. La crise finira et il sera toujours là.

Nous serons toujours là et ce sera à nous de choisir ensemble de prendre le temps d’être heureux, d’être solides et d’être solidaires.

Dimitri Houtteman sur Unsplash (CCO)
Partagez

Commentaires

Fa
Répondre

Très beau texte! Même si je suis confinée aussi mais plutôt en ville dans un appartement pas très spacieux, j'avoue que je ne me plains pas du tout du confinement... et j'ai honte de ne pas me plaindre de celui-ci comme le font la plupart des gens que je connais

Tanguy Wera
Répondre

Assez fou, hein, ce qu'une certaine forme de conformisme social est prête à nous faire faire :-) Saisissons l'opportunité de ce temps libéré pour penser plus loin...
Merci pour ton retour.

Af
Répondre

Merci pour ce texte qui m'a profondément touchée, tant je m'y retrouve. Les mots sont d'une belle justesse... Au plaisir de vous relire!!

Tanguy Wera
Répondre

Merci à vous :-)

Nicole
Répondre

Bravo pour ce texte, je ressens exactement la même chose ! Faisons vibrer le monde positivement ! Bon confinement à toi et à tes proches !

Tanguy Wera
Répondre

Merci à vous :-)

Murielle
Répondre

Une jolie philosophie de vie et d'espoir dans un monde qui se meurt pour sans doute mieux renaître de ses cendres...du moins je l'espère. Merci pour ce joli texte

Tanguy Wera
Répondre

Merci pour ce très aimable commentaire. Il y a quantité de raisons de mettre toute notre énergie à créer le monde qui s'en vient, quels que soient les orages qui s'annoncent!

Lagrenouille
Répondre

Salut Tanguy,
Merci pour ce texte. J'entends beaucoup de commentaires du style "le monde va mal", etc... Il n'allait pas vraiment bien avant il me semble ? Le Covid exacerbe la crise de l'Humanité... Et il n'y a que ceux qui ne voulaient pas voir cette crise arriver qui ne l'on pas vu venir.
Les personnes malheureuses le sont encore plus en temps de crise, faute d'avoir pu trouver autre chose qu'un bonheur superficiel dans leur vie d'avant.
L'espoir est que ce confinement sera la crise existentielle qui fera prendre la décision de vivre autrement.

leyla
Répondre

Bon Jour, cela me fait écho aussi, tant. merci de ce beau partage. De même, je mis un temps avant d'oser l'avouer..ce ressenti de conscience du beau de chaque instant qui allait surement se diffuser et espoir qu'au sortir de tout cela, nous serons plus posés, conscients de soi et donc libérés de nos egos, vers une conscience du lien qui nous unit tous.. bref.. cela peut sembler fou de vibrer tant d'espoir, mais oui saisissons la réception des situations comme un choix. Le choix de réception des situations nous appartient. Et en cela réside une force qui nous traverse tous. J'hésita aussi la diffusion de ce ressenti et de diffuser un sourire.. qui me pousse l'envie de le transmettre aussi... en mes posts . Je pris un moment aussi avant d'oser l'exprimer ouvertement car j'avais l'impression d'être 'indécente' si j'osais admettre ces sentiments qui me traversaient, comme d'une sérénité et d'espoir en ce fait que le monde arrête de courir pour un temps, comme un opportunité (sans aucunement fermer les yeux aux réalités et consequences humaines) mais d'y choisir de voir ce que l'on peut en retirer de conscience.. d'enfin s'arrêter la course aux productivités et illusions de besoins denses de consommation, et être présent en chaque instant... et de contempler les jeunes pousses émergentes autour de soi si on peut les voir.. et realiser la préciosité de ce qui est present, autour de soi, oui. et que cela portera peut-être vers un contentement de ce qui est, là, et oublier la course au toujours plus... pour tendre vers celle de l'émerveillement du present de l'instant present.. de ce qui est. et donc une énergie impulsant actions en ce sens.. et libérer de l'illusion d'avoir trop de besoins car en 5 semaines, je n'ai pas ressenti le besoin d'achat.. tout en ayant fait aucun stock.. mais mangeant plus posément et finalement appréciant de nouveau, chaque chose, se sentir comme libérée d'une société allant trop vite.. et redécouvrir l'evidence qui résonne si fort au fond de soi.. si on s'était perdu dans un flot trop rapide.. j'avoue encore me sentir presque gênée d'oser l'avouer. mais cela ne retire en rien notre sincère respect envers ceux qui 'triment' pour le bien de tous. je me ressens en votre partage. merci de l'avoir osé aussi . votre post, très beau, libère la parole et on sait qu'on y sera reçu avec tolérance, merci.

Tanguy Wera
Répondre

Merci,

Je suis intimement convaincu que cette gène, ce malaise que l'on devrait ressentir à l'idée de se sentir bien, tout simplement, ne tirera personne de son malheur.
L'empathie ne signifie pas faire sien tout le malheur du monde. C'est, à mon sens, en liant la conscience aigüe de ce malheur et la conscience encore plus grande de tout le bonheur potentiel que l'on tirera ceux qui le souhaitent vers le haut. :-)

Chaussebourg
Répondre

Merci pour votre témoignage.
Je suis soignante en ehpad je vis à la campagne j'ai un grand jardin et je vois chaque jour la nature reprendre ses droits...
J'apporte mon petit coin de bonheur à tous les résidents dont je m'occupe. Et souvent je vois poindre unn sourire sur les lèvres et dans les yeux.....
C'est aussi ça le bonheur...
Belle journée à tout le monde