Lettre à mes amis censeurs

Article : Lettre à mes amis censeurs
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15 avril 2020

Lettre à mes amis censeurs

À vous tous qui me lisez, depuis quelques semaines, moi aussi je vous lis. Je lis votre emportement à l’égard de ceux qui ne respectent pas le confinement. Vos messages indignés expriment toute la colère de voir d’autres ne pas se plier à ces mesures auxquelles vous-mêmes, vous vous soumettez consciencieusement.

Sur les réseaux sociaux, quelques-uns d’entre vous appellent pour ces délinquants à « de lourdes sanctions », allant parfois jusqu’à souhaiter une intervention de l’armée si la police n’y suffisait pas.

Hajran Pambudi sur Unsplash (CCO)

Ni mépris, ni colère

Au risque de vous décevoir, je n’ai, pour ma part, aucun mépris pour ces criminels de proximité. Au risque de les décevoir, je n’ai, rassurez-vous, aucun mépris pour vous.

La raison est simple : je suis tour à tour comme eux et comme vous.

Je suis comme vous quand je vois l’incivisme des uns porter atteinte à la santé de ceux que j’aime. Je suis comme vous quand je vois l’inconscience des uns ruiner le travail acharné qu’on applaudit des deux mains. Comme vous, je ne peux m’empêcher de penser que seule la fermeté pourra nous permettre d’arriver à nous sauver collectivement.

Je suis comme eux quand je pense à l’impact dérisoire qu’ont mes gestes de désobéissance. Je suis comme eux quand je me dis qu’il ne faut pas tout mélanger, que je peux avoir énormément de respect pour ceux qui se dévouent corps et âme au quotidien tout en n’étant pas, moi-même, un saint à toute heure du jour et de la nuit.

Schizophrène

Ces deux personnalités, je les connais par cœur. Pourquoi ? Parce que ça ne fait pas des semaines que je suis partagé entre elles deux, ça fait des années.

Depuis des années, je suis partagé entre d’une part la conscience aigüe des gestes qui mettent en danger les plus fragiles et d’autre part un mode de vie qu’il est difficile de chambouler du jour au lendemain.

Arrivés à ce point, vous avez tous compris où je voulais en venir.

L’incivique

Vous avez tous compris que l’incivisme qui tue et ruine les efforts de toute une population, il peut aussi consister à prendre l’avion pour un city-trip ou à s’empiffrer de bœuf argentin gonflé au soja. L’incivisme peut consister à laisser dormir son argent sur un compte d’épargne qui ira booster les spéculations financières d’un banquier tentant piteusement de vous rapporter 0,3 % d’intérêts en investissant dans les puits de pétrole.

Ce discours-là, comme vous, il me hante. Pour des raisons évidentes, parce que je ne suis évidemment pas meilleur qu’eux, je me garde bien de le ressortir à chaque fois que des amis postent leurs photos de vacances à New York, à chaque fois qu’on m’invite à un barbecue, ou à chaque fois que je vois quelqu’un sortir sa carte bancaire.

Luca Bravo sur Unsplash (CCO)

À table

Pour être honnête, aussi convaincu que je puisse être par les arguments écologistes, je ne rêve pas d’un monde où, par la force, on irait punir l’incivisme de chaque délinquant climatique, même si cet incivisme tue plus encore que le coronavirus.

Or il tue. C’est un fait.

Mais pour tenir dans la durée et rendre chacun vertueux, les menaces et la terreur n’y suffiront pas.

Il s’agira de se mettre à table avec ceux-là mêmes que l’on méprisait hier. Avec ceux-là mêmes à qui l’on promettait les flammes de l’enfer, il faudra partager ses côtelettes. Avec ces inciviques, ces inconscients, ces égoïstes, il faudra faire ce bout de chemin qui rend désirable le fond du jardin. Avec les délinquants de la pire espèce, pour avancer, il faudra faire les comptes de ce qui nous rassemble, le bilan de ce qu’on a en commun : l’envie d’être en vie et la poursuite du bonheur.

à table!
Spencer Davis sur Unsplash (CCO)

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Commentaires

Emmanuel Dunil
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J’adhère tellement à votre naïveté revendiquée, qui lorsqu’elle est à la fois spontanée et éclairée, lumineuse comme chez vous, est synonyme d’innocence et de sincérité. Mes respects.