Dans quel monde voulons-nous être en bonne santé ?

Un virage
Nous les avons lus ou entendus, ces discours qui appellent à se saisir du confinement pour faire vivre à nos sociétés un virage à 180°. Forcément, ils nous plaisent puisqu’au fond, ils ne disent rien d’autre que ce que ce que nous répétions, ce pourquoi nous militions, nous manifestions depuis des mois, des années.
La force de ces cartes blanches, ces lettres ouvertes et ces déclarations, c’est d’inscrire nos combats dans une temporalité inattendue : Nous sommes au feu rouge, sur la planète entière le temps est suspendu. Quand le feu repassera au vert, nous pourrons faire le choix de poursuivre, sans frein ni embrayage, vers le précipice ou bien de bifurquer vers l’autre chemin. Que choisirons-nous ?

Bien sûr, ces vibrants discours n’ont qu’un rapport lointain avec la maladie qui nous immobilise mais au fond, est-ce bien grave ? Après tout, on a connu des révolutions qui démarraient sur des quasi-malentendus : sans un hiver trop rude et un nouveau printemps trop sec, que se serait-il passé en juillet 1789 ?
Les autres récits
Mais il y a, nous dit-on, ces autres récits, ceux qui parlent d’un avenir fait de relance économique, de pertes de libertés publiques, de pollution qui repart à la hausse. Bien sûr, la noirceur du tableau les rend bien moins attrayants que le premier scénario mais les peintures les plus sombres ne se sont-elles pas toujours présentées comme les plus lucides, les moins naïves ? Et puis ces scénarios présentent deux autres atouts déterminants : ils parlent de santé à l’heure où cette question obsède et ils parlent d’un avenir immédiat.

À la différence des annonces de société nouvelle que l’on reconstruirait ensemble, ils apportent des réponses immédiates à ceux qui craignent de contracter la maladie, ils apportent un horizon à court terme à ceux qui se demandent si leur carnet de commande se remplira à nouveau dès le confinement levé. Oh, certes, ils n’enchantent pas grand monde mais ils rassurent ceux que le coup de massue a laissés hagards, désorientés.

Good Bye Disease
Ne pas mourir n’est pas un but suffisant dans l’existence.
André Comte-Sponville
On raconte que le 7 octobre 1989, Christiane Kerner, fervente militante communiste Est-allemande fut plongée dans le coma suite à un infarctus. Quand elle se réveilla neuf mois plus tard, un mur était tombé et le pays qu’elle connaissait, dont l’idéologie l’animait, n’existait plus. Pour lui éviter un choc trop brutal, les médecins conseillèrent à sa famille de lui cacher la réalité du monde nouveau. Mais combien de temps faire durer l’illusion d’un monde en ruine pour ne pas brusquer les malades ?

Depuis 400 ans, un homme qui avait perdu son meilleur ami de la tuberculose, souffrait de gravelle et fuyait la peste avec sa famille nous pose cette question fondamentale : dans quel monde voulons-nous être en bonne santé ?
Car jamais la santé ne deviendra une valeur, un but en soi, un idéal de société. Au mieux, les médecins pourront-ils nous aider à affronter, sans toux sèche ni colique, la sortie d’un coma. Mais à quoi bon être en bonne santé dans une société où les inégalités tuent ? À quoi bon être en bonne santé dans une société où la pollution, la destruction de l’environnement et les hausses de températures tuent ? À quoi bon être en bonne santé dans une société malade ?
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