La légende du tyranneau

Article : La légende du tyranneau
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30 janvier 2025

La légende du tyranneau

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie dans la jungle amazonienne. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activ… Stop !

CC-BY – Foto: Bruno Kelly/Amazonia Real.

Ce qu’a zappé Pierre Rabhi, conteur sympathique au demeurant, c’est que pendant qu’il braquait les caméras du monde entier sur le piaf s’affairant à transporter des gouttes dans son minuscule bec, tyranneau était, de son côté, loin de se croiser les ailes.

CC-BY De Sève, Histoire naturelle des oiseaux, 1770

Tyranneau

Le tyranneau des campos, aussi appelé tyranneau de Chapada ou tyranneau des Isler est considéré par certains comme une sous-espèce du Tyranneau suiriri, mais si vous voulez mon avis, ça n’a pas aucune forme d’importance. Entre nous, par facilité, on l’appellera simplement tyranneau puisque c’est le seul tyranneau de l’histoire.

Tyranneau, donc, est un oiseau bien moins remarquable que nombre de ses voisins amazoniens aux couleurs bariolées ou aux qualités exceptionnelles. Il a la taille d’un gros moineau et son plumage est d’un gris qui tire méchamment vers le brun. Pas besoin d’illustration, vous visualisez très bien. C’est un animal quasi menacé… mais donc pas encore menacé, ce qui lui donne un destin plus enviable que 1400 autres espèces d’oiseaux sur terre. Mais une fois encore, là n’est pas la question.

L’incendie

CC-BY Gallica – Werner, Histoire naturelle des mammifères, 1824

Alors que le feu de forêt donnait à voir ses premières colonnes de fumée, tyranneau alla trouver les saïmiris. Il leur dit que le feu était sans doute parti de chez les tapirs. À vrai dire, tyranneau n’en savait strictement rien, mais comme les saïmiris vivaient haut dans les arbres et que les tapirs n’évoluaient qu’au sol, ils se connaissaient suffisamment peu et les saïmiris trouvèrent assez crédible la thèse du tapir pyromane.

Voyant que les animaux ne s’encombraient pas de faits avérés, tyranneau voleta alors jusqu’au jaguar. Il lui dit que l’incendie était assurément la faute de caïman. Jaguar avait toujours eu une dent contre caïman qui lui disputait la place de superprédateur de la jungle. Jaguar souscrivit sans hésitation à cette théorie. C’était, après tout, assez logique : caïman n’était-il pas, en tant que chasseur nageur, un de ceux qui n’avait rien à craindre, voire même tout à gagner d’un brasier dans la forêt ? Jaguar réfléchissait avec bon sens, il n’alla pas plus loin.

CC-BY Gallica, de Sève, Histoire naturelle des animaux, 1758

La sagesse des empereurs

D’ordinaire, quand on cherchait à comprendre un phénomène complexe, on se tournait vers les tamarins. Les tamarins avaient une réputation de sagesse comme souvent les primates. Tyranneau fit remarquer à qui voulait l’entendre que les tamarins formaient une société matriarcale polyandre au sein de laquelle, autour d’une femelle, les mâles s’occupaient des petits. Le paresseux et la tortue d’eau douce avaient arrêté d’écouter à partir de « polyandre » parce qu’ils ne pigeaient que dalle. Cela dit, ils trouvaient, en effet, que ces tamarins qui les prenaient de haut manquaient furieusement d’énergie masculine. La tortue fit remarquer au paresseux que lui aussi manquait d’énergie. Le paresseux lui retourna la politesse et tyranneau alla voir ailleurs pendant que les animaux se battaient à coup de fruits pourris.

CC-BY Gallica – Werner, Histoire naturelle des mammifères, 1824

Les aras bleus, verts, rouges étaient les messagers de la jungle. Ils répétaient ce qu’ils voyaient avec toute la fidélité que leur permettait leur vision panoramique. À leurs messages, relativement compréhensibles s’ajoutait souvent celui des toucans que peu de gens comprenaient, mais qu’on laissait chanter par respect pour la diversité. Tyranneau monta les uns contre les autres, leur coupa les graines, dénonça leur manque de neutralité chaque fois qu’ils ne reprenaient pas servilement les idées qu’il venait leur servir à l’aube. Peu à peu, tyranneau remplaça ces chants d’oiseaux par les cris vulgaires d’une armée de singes hurleurs roux.

CC-BY Gallica, Salmon, La vie des animaux illustrée, 1903

Fin de l’histoire

L’histoire ne dit pas si colibri parvint à éteindre l’incendie. On ne sait pas non plus si tyranneau, après avoir semé la haine, la division et les fausses informations en tira quelconque profit personnel ou s’il se retrouva, comme tous les autres animaux, le bec dans l’eau une fois que son nid fut parti en fumée.

On raconte par contre que deux tapirs, une famille de dendrobates, un tatou et les tamarins qui n’avaient pas été lynchés avaient traversé le fleuve pour atteindre la rive gauche sur le dos d’un dauphin rose. La traversée avait eu des allures de gay pride burlesque et fraternelle, ce qui n’avait pas manqué de déclencher une nouvelle bordée d’insulte chez les autres animaux.

On raconte aussi que les principaux intéressés n’en ont rien à secouer : ils ont recréé, sur l’autre rive, une société anarchiste végane, égalitaire, antiproductiviste, inclusive et décroissante. C’est un peu le bordel, mais pas un jour ne passe sans qu’un animal au poil roussi par les flammes ne soit accueilli dans la communauté.

Enfin, vous savez, c’est juste une légende, hein ! Et à ce qu’on dit, le tyranneau a tellement sabré dans toutes les formes d’expression qu’il n’y a aucun risque que la légende se propage plus vite que l’incendie. À moins que vous…

CC-BY Foto: Bruno Kelly/Amzonia Real.
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Commentaires

Marina Tem
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Très beau conte, qui j'espère présage pour notre monde réel une reconstruction idem des sociétés à venir... Quand tous les bienpensants rigides d'extrême droite auront cramé dans leurs idéologies à la Donald Trump :)