Portrait de l’ennemi à abattre

Article : Portrait de l’ennemi à abattre
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14 juillet 2020

Portrait de l’ennemi à abattre

Hiep Duong – Unsplash – CCO

Cela fait déjà un bon moment qu’on a renoncé à la rhétorique guerrière. Pour sauver le climat, la solidarité et la biodiversité, on ne partira pas en guerre parce que le défi auquel on fait face n’est pas de ceux que l’on gagne avec des tanks et des généraux.


Et pourtant, dans cet effort pour faire perdurer nos vies sur ce vieux caillou, il est sans doute indispensable d’identifier l’ennemi à abattre, l’hydre dont il faut couper les têtes si l’on veut se donner une chance de s’en sortir collectivement.

Quelques monstres, plus vaniteux que d’autres, ont eu la prétention d’endosser ce rôle d’ennemis consensuels : de Donald Trump à Jair Bolsonaro, de Total à Bayer-Monsanto en passant par ceux qui trafiquent, tour à tour, les moteurs diesel, les cornes de rhinocéros blanc et les comptes des intercommunales, on a vu des spécialistes dans l’art d’incarner l’objet idéal de la détestation collective.

Matthew Guay – Unsplash – CCO

Leur jeu

Certes, ils existent et ils font du dégât mais ce serait leur faire trop d’honneur que de leur laisser croire qu’à eux seuls, un président, une multinationale, un lobby ou un réseau mafieux, même cyniques et criminels, ils incarnent l’ennemi à abattre. Quand bien même, ils disparaîtraient, leur monde perdurerait.

Alors on a tenté de comprendre ce monde ancien qui, en refusant de mourir, compromettait nos chances à tous et toutes d’avoir un avenir décent. On lui a donné des noms : « néo-libéralisme », « domination patriarcale », « anthropocène », « prédation capitaliste » et plein d’autres mots compliqués pour incarner les rouages de ce vieux monstre auquel il semble repousser une nouvelle tête à chaque fois qu’on pense l’avoir vaincu. Non, ce n’était toujours pas lui, l’ennemi.

Keenan Constance – Unsplash – CCO

L’inertie

Pourtant il existe bel et bien. Il y a bien un adversaire qui gangrène nos gouvernements et nos parlements. C’est le même qui s’invite insidieusement dans nos banques et nos entreprises, dans nos écoles, dans nos familles même. Son nom est banal à pleurer : c’est l’inertie.

L’inertie c’est ce qui fait qu’il est si difficile d’intégrer les non-humains et les générations futures à nos constitutions, nos lois et nos décisions quotidiennes.

L’inertie c’est qui fait qu’il est, aujourd’hui encore, tellement plus compliqué de mesurer un bénéfice écologique qu’un dividende ou un budget à l’équilibre.

L’inertie c’est ce qui nous fait dire, par facilité, que la banque, l’entreprise, le service avec lequel on travaille depuis si longtemps « a fait ses preuves » même si on ne sait plus bien de quelles preuves il s’agit et qu’on a l’intuition que ce n’est pas du côté du côté éthique, social ou environnemental qu’il faut aller chercher ces fameux gages.

Ellicia – Unsplash – CCO

L’inertie c’est ce qui fait qu’on préfère continuer à empoisonner nos enfants à la cantine plutôt que de construire un système qui intègre des garanties en terme de produits sains, locaux, biologiques, de saison, équitables… Pourquoi ? Pas parce qu’on a le cynisme et la vanité d’un président américain, pas parce qu’on est corrompu par un lobby ou tenu par les parties génitales par « le patronat ». Non, la réalité est, sur ce point, bien moins rocambolesque que la fiction, c’est l’inertie qui nous empêche de changer à la vitesse où il faudrait. C’est que la tâche est titanesque si l’on veut revoir de fond en comble nos modes de production, de consommation, d’administration et qu’en revanche il est d’une facilité enfantine de laisser perdurer le système tel qu’il a toujours fonctionné.

Ne nous voilons pas la face, il n’y a absolument aucun espoir que l’humanité toute entière, en ce compris votre vieil oncle Maurice, sorte de sa torpeur et se mette en mouvement pour opérer le virage nécessaire.

Rahul Pabolu – Unsplash – CCO

Fin de partie ?

Quelqu’un a dit un jour : « ce n’est pas sur le bio qu’il faut écrire « bio », c’est sur la merde qu’il faut écrire « merde » ». De la même manière, il va falloir construire un parcours du combattant entre nous et ces fringues à bas prix produites au mépris de toute considération en terme de droits humains, de considérations sociales ou environnementales. Il faudra que l’idée même d’avoir un impact social et environnemental négatif produise un découragement semblable à celui qui envahit ce citoyen à qui on annonce que, pour avoir une infime chance de préserver sa vallée de la pollution, il va lui falloir participer à neuf réunions en soirée, faire signer deux pétitions, remplir six formulaires, lire douze règlements, écrire à trois ministres, rencontrer quatre niveaux de pouvoir et entamer une grève de la faim.

On n’arrivera pas à abattre l’ennemi, les dés sont pipés, l’inertie gagnera toujours. Par contre si on veut se donner une chance de continuer la partie, la solution est simple : il va falloir que l’inertie change de camp. À nous de jouer.

Jowita Jelenska – Unsplash – CCO
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Commentaires

Fanchon
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Merci Tanguy pour ce billet. L’inertie, c’est aussi ce qui mine nos processus démocratiques, en appliquant le mot « Urgence » à toutes les causes, sans pour autant s’ attaquer au fond des problèmes.