Inondations : ils ont sauvé nos villages

Article : Inondations : ils ont sauvé nos villages
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24 juillet 2021

Inondations : ils ont sauvé nos villages

J’habite au cœur de l’une des régions balayées par les pluies torrentielles des 14 et 15 juillet derniers, qui ont fait plus d’une trentaine de victimes et ébranlé des milliers d’habitations sur le sol belge. Comme les communes voisines de Theux, d’Aywaille, de Spa, comme les villes sinistrées de Pépinster et Verviers, nous avons assisté, impuissants, aux trombes d’eau qui s’abattaient sur nos foyers, s’immisçant dans les murs et gonflant des ruisseaux. Pourtant la suite de l’histoire, elle, est toute différente.

Stoumont est une commune peu peuplée. Sans doute faut-il le préciser quoiqu’il ne s’agisse pas, je crois, de l’élément le plus important de la pièce qui s’est jouée autour de nos maisons. Traversée par l’Amblève d’Est en Ouest et ponctuée d’une multitude de ruisseaux, la commune n’a clairement pas usurpé son surnom de pays des sources. C’est d’ailleurs dans ses sous-sols que l’on capte une eau qui finit sur les tables de nombreux restaurants du pays. Alors, comment comprendre qu’à la différence de territoires si proches, la commune ne déplore aucune victime et que les dégâts matériels restent sans commune mesure avec les images d’apocalypse que renvoient les rues dévastées des localités toutes proches ? Sans doute y a-t-il trois raisons à cela.

(CCO) Tanguy Wera

Nos forêts

La première est liée à l’environnement. Avec ses 3000 habitants et ses 108 km2, les terres artificialisées occupent moins de 3 % du sol stoumontois, contre près de deux tiers pour les forêts et 27 % pour les terres agricoles, principalement des pâturages. 2,8%, c’est près de quatre fois moins de béton que dans l’entité voisine la moins densément construite. Or, tant la littérature scientifique que le bon sens populaire s’accordent à reconnaitre à nos prés et nos forêts un rôle déterminant pour temporiser les effets des fortes précipitations. Avec une efficacité imparable et pour un cout imbattable, les premiers services de prévention actifs sur le terrain étaient donc probablement les chênes, les épicéas et l’humus à leur pied.

Walstat IWEPS SPF Finances (CC)

Nos anciens

Il n’empêche : sur les 55 villages et hameaux qui composent l’entité de Stoumont, si seuls trois ont nécessité une intervention accrue des services de secours au plus fort des précipitations, il ne peut s’agir uniquement de l’aide conjuguée d’une volée de hêtres et d’une poignée de ruminants. C’est vrai. Car à ce paramètre, naturel, s’en ajoute un deuxième, historique et bien humain quant à lui. L’immense majorité des villages et hameaux qu’ont façonnés nos ancêtres au fil des siècles s’est accrochée au flanc des collines. Ni sur leurs crêtes fouettées par les vents ni au creux des vallées noyées par les crues : au bord des collines. La plus grande entorse à cette logique séculaire ? Des campings et chalets fragiles, construits dans les années 1960 au gré de permis d’urbanisme complaisants. Ceux-là mêmes qui ont été les plus durement touchés par les inondations.

Nos fagnes

La troisième raison, celle qui me donne espoir, rapproche l’histoire des hommes et des femmes à celle de leur environnement. Au gré de l’exploitation minière, du pâturage et des activités sidérurgiques de la région, les plateaux de nos sommets ont été déboisés, drainés puis reboisés au fil du temps. Aujourd’hui, sous l’impulsion d’acteurs inlassables et lucides, on recrée des tourbières, on restaure les zones humides des fagnes d’autrefois, favorisant le retour d’une faune et d’une flore que l’on avait crues perdues. Aujourd’hui, sans se décourager, on recreuse les mares qui autrefois constellaient les prés d’une trainée vive et bleue. Sur plus de soixante hectares, ces zones humides constituent non seulement le plus beau, le plus vivant, mais aussi le plus efficace bassin d’orage dont on puisse rêver pour nos villages.

(CC0) Corina Rainer – Unsplash

Qui nous sauvera demain ?

Sans eux, nos forêts, nos anciens et nos fagnes, qui sait à quel point nous aurions été impacté par les inondations ? De tels services se comptent en dizaine de milliers d’euros s’il fallait leur donner un prix, mais le faut-il ? Sans tirer aucune vanité de ce cadeau qui nous est légué, reconnaissons-en la valeur et battons-nous pour le transmettre intact à ceux qui nous suivront. D’autres inondations, des vagues de chaleur, des catastrophes arriveront, nombreuses seront les opportunités pour notre environnement pour nous sauver à nouveau… si nous lui en offrons l’opportunité.

Alors, continuons à sculpter nos paysages en faisant du vivant notre allié. On se rappellera alors que cette eau qui sème aujourd’hui le deuil et la désolation est bien plus souvent source de vie.

(CC0) Tanguy Wera
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Commentaires

Penez
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Puissiez vous dire vrai et arrivez à convaincre les villages d alentour à reboiser à replanter des haies pour servir de paravents à la destruction des villages qui seront malheureusement encore confrontés aux intempéries et à la sécheresse à cause du changement climatique auquel nous seront inéluctablement soumis dans les prochaines années Merci pour votre sonnette d alarme.

Brimioulle Jean-Pierre
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Peut-être aussi, un peu, la gestion des barrages en aval ?

Tanguy Wera
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Sur l'Amblève et la Lienne, hormis des barrages de castor, je n'en vois pas beaucoup.

Plus sérieusement, les enquêtes ad hoc feront la lumière sur l'impact du barrage d'Eupen sur la crue de la Vesdre mais il serait fort regrettable de pointer un coupable seul (le gestionnaire du barrage) si son rôle était confirmé, alors que les causes sont multiples et nous appellent à revoir en profondeur notre rapport aux crues, à l'artificialisation des sols, etc.

Didier Tourneur
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Lucide, pertinent et excellemment rédigé. Bravo!

Dany HERMANS
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Voilà un article vraiment bien torché et en plus qui met le doigt sur des éléments constructifs. Tout le contraire de la plupart des media en quête de catastrophes