Dormir, déplaire et décevoir

Article : Dormir, déplaire et décevoir
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30 mars 2022

Dormir, déplaire et décevoir

Dans un monde idéal, je me verrais bien militant. Ça sonne bien, militant ! On y retrouve le côté flamboyant du chevalier blanc, combattant inlassable des nobles causes, porte-drapeau des justes combats… mais sans la boue jusqu’aux cuisses, l’odeur de sueur et les mains sales.

Dans un monde idéal, la blancheur immaculée des militants ne s’entache jamais des bassesses du quotidien. Dans ce monde bien réel, j’ai choisi de faire de la politique. Sur le papier, la fonction politique collait pas mal avec la définition de militant.

Forcément, sur le terrain, on prend la mesure du fait que le noble destrier est en réalité un poney éclopé, qu’il s’agit de faire soi-même la lessive si l’on veut garder le haubert propre et que les ongles noirs sont le lot de tous ceux qui mettent les mains dans le cambouis. Par ailleurs, il n’a pas fallu tant de temps pour comprendre que la quête du Graal passait nécessairement par trois étapes : Dormir, déplaire et décevoir.

Jean-Baptiste D. – Unsplash – CCO

Dormir

Quand on a un monde – ou quelques centaines d’hectares de ce monde – à changer, les heures de sommeil sont des considérations superflues.

Il faut tout à la fois bouger pour le climat, renforcer les circuits courts et ceux qui les portent, repenser la mobilité, prendre soin de nos ainés, de nos jeunes pousses, tirer le meilleur des équipes éducatives en leur offrant les moyens de semer des graines de changement, coller des sparadraps sur toutes les passoires énergétiques, œuvrer à ce que la culture puisse jouer son rôle d’éveil des consciences. Il faut anticiper les crises futures et réparer les dégâts des crises passées, tisser des liens entre tous les acteurs de changement. Non, vraiment, dormir n’est qu’une activité superflue.

Mais rien n’y fait. Ni le stress, ni l’ambition, ni la caféine ne demeurent longtemps des alliés fiables contre la fatigue. Alors en désespoir de cause, il faut dormir, prendre soin de soi. Premier renoncement.

Vieil homme dans un fauteuil - Photo en noir et blanc
Ben O’Bro – Unsplash – CCO

Déplaire

484 voix sur 2000 électeurs potentiels, c’est un suffrage honorable diront certains.  Il n’empêche : c’est le signal évident que 1500 adultes en âge de voter n’ont pas vu en ma candidature il y a trois ans, le signe du changement qu’ils attendaient. Dit comme cela, ça force l’humilité. Il en faut, de l’humilité, pour ne pas perdre de vue le fait que notre légitimité n’est que le reflet d’une imparfaite démocratie. Nombreux sont ceux qui se font un point d’honneur à le rappeler : être élu, c’est déplaire.

Dans un monde idéal, le militant porte haut ses couleurs avec la satisfaction de n’avoir de comptes à rendre à personne. Il bénéficie, sinon d’une forme d’admiration, au moins d’un capital sympathie élevé. Dans ce monde bien réel, il parait que l’on ne peut pas plaire à tout le monde. Alors on déplait : à ses voisins, aux parents qui déposent leurs enfants à l’école, aux pensionnés que l’on croise et aux personnes avec qui on est amené à travailler. On le sait, on apprend à vivre avec. Deuxième renoncement.

Portrait d'un homme âgé avec une écharpe - en noir et blanc
Mathew Banjo Emerson – Unsplash – CCO

Décevoir

Mais comme on passe de Charybde en Scylla, immanquablement, après avoir évité ceux à qui l’on déplait, on tombe dans les filets de ceux que l’on déçoit.

Leur déception est plus douloureuse à recevoir que le déplaisir des fâcheux. Ils nous auraient voulus plus radicaux, plus intransigeants, plus libres de changer en profondeur le système. Ils ont cru voir en nous l’exact reflet de leurs aspirations individuelles et forcément, on les déçoit un jour ou l’autre. À notre place, ils auraient plutôt… ils n’auraient jamais… alors on se prend à rêver qu’ils y soient, à notre place.

Car si quelques mois d’exercices d’une fonction politique nous laissent un peu d’amour-propre, d’espoir et de lucidité, alors le plus déçu de tous est celui que l’on croise au détour d’un miroir. On s’habitue à mettre un pied devant l’autre en sachant que chaque conquête, chaque victoire sera entachée de dix défaites et de cent déceptions. Troisième renoncement.

Portrait d'un homme avec un chapeau en noir et blanc
Daniele Salutari – Unsplash – CCO

Militant

Et c’est alors que l’on regarde le militant qu’on voulait être.

Amer, on lui reproche un peu sa naïveté puérile et ses habits de carnaval. Mais s’il nous vient de la tendresse à l’égard de ce personnage, derrière son cheval éclopé, on retrouve une Rossinante. Ses ongles noirs, son haubert sale cachent un Sancho qui s’ignore. Humble on se regarde au miroir en se demandant si au fond, on ne préfère pas y voir un vrai Don Quichotte plutôt qu’Alice au pays des merveilles.

Dessin, Don Quichotte
Don Quichotte – Honoré Daumier – New York Metropolitan Museum of art – CCO
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