Voilà ce qu’on devrait apprendre à l’école !

Article : Voilà ce qu’on devrait apprendre à l’école !
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26 avril 2022

Voilà ce qu’on devrait apprendre à l’école !

Vers 17 ou 18 ans, je rêvais devenir éditeur ou écrivain. Une aspiration pour les métiers du livre qui répondait peut-être au fait que mes mots surgissaient avec bien plus d’aisance sur le papier que face aux filles de mon âge. Cinq ans plus tard, un diplôme de lettres en poche faisait de moi un professeur de français. Sans doute en va-t-il souvent ainsi des rêves et aspirations adolescentes : ils se muent au fil du temps en choix de carrière moins fantaisistes.

Depuis que j’exerce le métier, pas un mois ne se passe sans que je n’entende un quidam bien inspiré asséner avec une conviction d’autant plus grande qu’il est éloigné du monde de l’enseignement, que, vraiment, voilà ce que l’on devrait apprendre à l’école  : …

« Parcours-Et moi Sup’, Éditions Érasme » – Tanguy Wera

Qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ?

Tout y passe : les grands auteurs (grands pour qui ? le mystère reste entier), les enjeux de la démocratie représentative, la langue des signes, les premiers secours, la colonisation, le débunkage des fake news, le consentement, la permaculture, et les fondements du massage tantrique (sur ce dernier point, j’ai tout de même un doute)…

Souvent, c’est suite à une découverte récente (la méditation, l’histoire de Nauru ou la méthode Marie Kondō) que nos interlocuteurs nous interpellent sur ce savoir qu’ils ignoraient encore quinze jours auparavant, mais qui se trouve devoir faire désormais partie du coffre à outil de chaque tête bien faite. Parfois, aussi, ces revendications traduisent des valeurs ou une orientation politique facilement identifiables : peu nombreux sont ceux qui réclament simultanément l’enseignement des théories postcoloniales et des traditions chrétiennes, du droit pénal et des variétés de rainettes.

« Parcours-Et moi Sup’, Éditions Érasme » – Tanguy Wera

Il est pourtant un point sur lequel tous s’entendent, chez les jeunes comme chez les vieux, à gauche comme à droite : l’école est le véhicule incontournable de « notre culture ». Plus ou moins « générale », elle est ce qui permet de s’ancrer sur un territoire, de « faire peuple » avec nos voisins, de comprendre notre histoire, de faire émerger des valeurs, de rire des anecdotes d’un parfait inconnu autour d’un socle commun. Vraiment, si l’école doit transmettre quelque chose, c’est bien notre culture !

Une culture

Or cette injonction m’a longtemps posé un problème fondamental du fait d’un hasard territorial gênant : je suis belge!

Parler de culture belge lors d’un repas de famille est sans doute une des meilleures garanties que les échanges tourneront soit autour de poncifs éculés : la bière, les frites et le chocolat, soit autour d’élucubrations pédantes à propos du concept de belgitude, d’identité en creux, de confluence entre la romanité et germanité… Avec un peu de chance, la discussion s’achèvera dans un débat sur les mérites comparés de Jacques Brel et d’Angèle.

Ça doit sans doute être pour cela précisément, pour ce compromis nécessaire entre les clichés grotesques, les références pop et l’hermétisme des discours savants que lorsque les éditions Erasme m’ont proposé d’écrire pour elles un manuel sur la littérature et la culture belge, j’ai accepté. Pour ça… et parce que j’avais gardé ce vieux rêve de fricoter avec le monde de l’édition.

« Parcours-Et moi Sup’, Éditions Érasme » – Tanguy Wera

Benoit Poelvoorde et Hugo Claus

Dire que cette expérience n’aura pas toujours été agréable est un euphémisme. En tant qu’être masculin, je crois que je me suis approché au plus près de ce que peut faire endurer un accouchement aux forceps. Mais ça y est ! Il est là, tout chaud sorti de presse : il pèse 120 grammes et mesure 32 centimètres : un manuel qui, à travers l’ambition d’apprendre aux élèves à réaliser un exposé oral synthétique et à prendre part à une négociation, parcourt, mine de rien, quelques siècles d’histoires belges.

On y trouve bien plus de renoncements que de conquêtes : il y a trop peu d’Histoire sociale, trop peu de langue flamande et trop peu de grands auteurs, trop peu de peintres et trop peu de monuments, trop peu de géographie et pas une seule recette de boulets sauce lapin.

« Parcours-Et moi Sup’, Éditions Érasme » – Tanguy Wera

Mais j’y ai distillé, comme dans un peket liégeois, un peu de Van Eyck et beaucoup de Tijl Uylenspiegel, un poème d’Achille Chavée et un portrait de Stromae, des réflexions sur notre passé colonial, Victor Horta et Myriam Leroy. Guillermo Guiz est à quelques pages d’Émile Verhaeren afin de voir qui, du poète ou de l’humoriste, marquera le plus durablement les élèves. J’y rappelle qu’à défaut de coupe du monde, on a gagné deux Goncourt, deux palmes d’or et un Nobel de littérature. J’émets l’hypothèse qu’il y a peut-être un lien entre Brueghel, le folklore estudiantin et la Zinneke parade. Si on cherche bien, on trouvera un biceps de Jean-Claude Van Damme et des spéculoos, un concert de Johnny et une victoire de Justine Henin. Tout cela fait-il une culture belge ? Honnêtement je n’en sais rien.

Est-ce vraiment cela qu’on doit apprendre à l’école ? il se trouvera sans doute autant de partisans que de détracteurs. Moi, en tout cas, j’ai réalisé un rêve d’ado : je suis un tout petit peu écrivain, un écrivaillon sans prétention, pétri d’autodérision, un truc bien belge au fond.

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Commentaires

Anne Scieur
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Formidable portrait de cet outil pédagogique pas comme les autres, riche et suscitant curiosité et envie d'en découvrir bien plus sur les pépites de "notre culture". Bravo et merci Tanguy ! Malgré l'accouchement aux forceps, le bonheur d'admirer le nouveau-né reste entier, n'est-ce pas ? (L'editrice)

Tanguy Wera
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Oh oui! Comme après un accouchement (toutes proportions gardées) : de la fatigue, du bonheur, et le sentiment qu'il appartient maintenant aux autres de faire faire leur petit bout de chemin à ces quelques pages :-)