Moissonner nos fêtes brûlantes

C’était un été comme celui-ci. De violents orages interrompaient d’interminables jours de plomb. Le soleil dévorait les vies, balayant les espoirs d’un ciel clément.
Pizzica tarantata
Quand la lande ne brûlait pas, les ruisseaux faméliques se faisaient torrents et dévoraient les berges. Ah oui, et on faisait la fête aussi. Beaucoup. La musique et le vin aidant, nos fronts perlaient de sueur à force de danser sous la lune. La clarté des étoiles faisait éclore des amours intrépides.
C’était les Pouilles, un soir de juillet 1718. C’était Naples ou la Calabre. Certains diront que c’était bien avant. 7500 ans avant Jésus-Christ! C’était peut-être hier aussi. C’était Jéricho, c’était ce Sud aux herbes brûlées qui chaque année se rapproche de nos terres. Qu’importe ici ou là : l’été dansait !

Sticazzi
Depuis la révolution néolithique, on danse au temps des moissons, afin qu’elles soient bonnes malgré tout. Boit-on vraiment chaque verre de vin comme une offrande à Cérès, à Sainte-Anne ou à Saint-Jean ? De millénaire en millénaire a-t-on conscience que l’on perpétue un rituel qui, depuis des temps immémoriaux, vise à éloigner les ravageurs, la grêle et la canicule ? Sticazzi*.
Aujourd’hui notre maison brûle, notre navire prend l’eau et l’on fait toujours la fête. C’est les bals dans les villages et les festivals qui s’enchainent. C’est le tour de France et l’heure de l’apéro. C’est la pétanque et les gamins qui courent au bord de la piscine. Sous les mêmes soleils brûlants on continue à s’aimer. Seules changent les mélodies, sticazzi !

Sempre piú caldo
Plus que jamais dans l’histoire de l’humanité, on sait avec certitude que les étés qui viendront ne seront sans doute pas plus cléments que ceux qu’on a connus. On ne cherche plus à vouer nos ébats aux saints-patrons du coin. Peu nombreux sont ceux qui croient, aujourd’hui que le sort du climat se joue sur l’Olympe ou dans les fraiches travées des églises.
L’époque où « parler du temps qu’il fait » était synonyme de la vacuité d’un discours aura finalement été une très courte parenthèse dans l’histoire de l’humanité. Dans quelques villes, en Occident, on s’est pris à croire que la couleur du ciel n’était qu’un décor, une variation de température sans importance. Les paysans de 10 000 ans riraient bien en lisant cela. Eux qui dansaient dans les récoltes, eux qui buvaient, les foins coupés, eux qui fêtaient le raisin dans le cellier, ils savaient ce qu’ils devaient au soleil.
Alors comme eux, comme ces paysans dont le destin dépendait d’un orage, buvons le vin des années rudes! Gardons l’Italie, la tarentelle et la Calabre. Avec la lucidité des laboureurs qui guettent le bruissement dans l’air, faisons la fête chaque été. Avec les rapports du GIEC et la sagesse des sourciers, dansons. Le problème, ce n’est pas la fête : c’est la manière dont on laboure nos terres nues. Tout est à reconstruire pour prendre soin de l’eau qui étanche nos soifs. Alors gardons les nuits de fête, et reprenons les bases.

*Sticazzi : en romain dans le texte « on s’en fout », « je ne vais pas me prendre la tête pour ça »
Lectures
Parce qu’on n’écrit jamais rien de nouveau, derrière ces lignes maladroites, il y a une foule de mots bien mieux dits que ceux-ci. Reprendre la terre aux machines de L’Atelier Paysan, Tous les soleils, film de Philippe Claudel et sa BO : La tarentella de l’Arpeggiata, le soleil des Scorta de Laurent Gaudé, toute l’œuvre de ZeroCalcare, Pendant que les champs brûlent de Niagara, La mort dans la pinède de Feu! Chatterton. Il y a les discours de Greta Thunberg et Sapiens de Yuval Noah Harari, il y a le summer of love de 67, l’été caniculaire de 76, ceux qui les ont racontés. Lisez, écoutez, regardez et surtout ne laissez pas les brûlures vous empêcher de fêter !
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