Les excuses qu’on vous doit

20 décembre 2022

Les excuses qu’on vous doit

Désolé.

On a conscience qu’on vous tape sur les nerfs depuis un bon moment. On a cassé l’ambiance à deux ou trois reprises. On a gâché pas mal de bons moments : des repas de famille, des matchs de foot et des vacances aux Baléares.

Désolé pour ça. Vraiment.

Jeremy Yap – Unsplash – CCO

I.

Au fur et à mesure qu’on en apprenait plus sur la crise climatique, la chute de la biodiversité et les injustices, on a voulu, on a cru nécessaire d’expliquer, de vulgariser, d’informer. Pourquoi ? Parce qu’on se disait que, forcément, si tout le monde ne se mobilisait pas, c’est que, nécessairement, l’information n’avait pas bien circulé.

On a cru bien faire. Ce n’était pas cela. Désolé.

Vous nous avez dit qu’il ne fallait pas trop angoisser, trop inquiéter les gens, alors on s’est concentré sur les messages plein d’espoir, les petits bouts de solution qui aident à avancer.

Vous nous avez dit dit qu’on était trop gentils, trop naïfs, trop polis alors on a gueulé. Sur les grands de ce monde et sur tonton Jean-Mich’.

Vous nous avez dit qu’on était trop agressifs. Si en plus on avait le malheur d’avoir des formes et des ovaires, vous nous cataloguiez hystériques alors on a calmé le jeu.

La colère grondait en nous mais on a calmé le jeu.

On a calmé le jeu.

II.

Vous nous avez dit qu’on était dogmatiques, doctrinaires et déconnectés. Alors on a laissé tomber la philo et les slogans au profit de cas concrets, d’expériences de terrain.

Quand on a vu les crises sanitaires, énergétiques, géostratégiques, des « on vous l’avait bien dit » nous ont brûlé les lèvres mais on n’a rien dit. On avait déjà appris que ce n’était sûrement pas comme cela qu’on emportait l’adhésion de son public.

On a essayé, justement, d’adapter notre discours à chacune et chacun. On a dit aux banquiers que la société payerait, demain, la dette immense des investissements refusés aujourd’hui. C’était mathématiquement vrai.

Vous nous avez dit « moins de chiffres, plus d’émotions » : on a essayé.

Vous nous avez dit « moins d’émotion, plus de chiffres » : on a essayé.

Vous nous avez dit qu’on était donneurs de leçons, moralisateurs alors on a essayé de se taire.

Se taire.

On a vraiment essayé de se taire. Pour ne pas vous déranger.

III.

On a essayé de se taire et de simplement « être le changement que l’on voulait voir dans le monde » comme disait Ghandi, le Dalaï-Lama ou Michael Jackson, peu importe.

On s’est tu. Beaucoup. Beaucoup plus que vous ne l’imaginez.

On s’est tu chaque fois qu’on était désespérés et qu’on savait, au fond de nous, que ça ne servait à rien de le dire.

On s’est tu chaque fois qu’on savait qu’on était en minorité et qu’on allait se prendre un tsunami qu’on n’aurait pas la force de canaliser.

On s’est tu chaque fois que l’ambiance était aux banalités, aux simplifications ou aux mensonges éhontés. On a répondu par le silence aux insultes, aux « yaka » et aux « faukon ».

IV.

Mais il y a une chose qu’on n’a pas dite. Ou alors pas assez. Pas assez fort. C’est qu’on est désolés.

Désolés de vous avoir, à ce point, bousculés.

Désolés d’avoir occupé, sans demander la permission, le terrain de vos journaux télévisés, de vos conseils d’administration, de vos discussions au café.

On est désolés parce que nous aussi, on la connait, la désagréable sensation d’avoir dans l’oreille un sifflement qui revient chaque fois qu’on s’en croit débarrassé.

Vous avez l’impression qu’on est partout ? Qu’on a pris les manettes du discours social ? Soyez rassurés : salon de l’auto, croisières de luxe, shopping à Dubaï et stades climatisés, votre vieux monde est encore bien installé.

Alors on est désolés, vraiment désolés, mais on va continuer.

Parce qu’on n’a rien à perdre et deux, trois trucs à sauver.

Parce qu’on sait qu’en se taisant, on ne fait rien avancer.

Et parce qu’il ne reste peut-être plus que cela : avancer.

Ensemble si possible. Désolants, désolés.

Mais avancer.

Avancer.

Henry Xu – Unsplash – CCO
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