Histoire de blé

Article : Histoire de blé
Crédit: Unsplash, Thomasz Filipek
28 janvier 2024

Histoire de blé

À chacun sa manière de soutenir le monde agricole. Pour ma part, j’aimerais vous raconter l’histoire de Philippe.

Il me l’a confiée jeudi, alors qu’avec Terre d’Herbage, nous avions rassemblé nos partenaires : productrices, producteurs, gérantes et gérants de petites épiceries. La finalité de notre coopérative, c’est d’amener les produits des uns chez les autres. Les années passant, on commence à devenir un maillon utile à tous, tout en gardant comme boussole un principe basique : ne pas se mettre un centime en poche au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir l’outil. Ça peut paraitre idiot, mais ne pas s’enrichir sur le dos des agriculteurs, ce n’est pas la vertu cardinale, dans le secteur. Ah oui et puis on décide ensemble aussi. Logique, me direz-vous, on est une coopérative… c’est bête hein, mais ça non plus, ça ne coule pas de source.

(C) Imagine Demain Le Monde – avec accord pour publication

Bref, Philippe est boulanger, il s’approvisionne en farines entre autres à la ferme Schalembourg, en œufs et en lait à la ferme Collienne. Daniel Collienne, on le connait, les filles de la ferme Schalembourg aussi. C’est con hein, mais ça fait quelque chose de connaitre ceux qui nous nourrissent, de savoir comment ils et elles travaillent, quelles valeurs ils mettent dans la manière dont ils cultivent, quelles lignes rouges ils et elles ne franchiront pas.

Pour ce qui est du prix

Philippe est boulanger et comme à tout le monde, dans le secteur, on lui répète qu’il est bien sympa, bien courageux, que ses produits sont de qualité, mais que tout de même, il faut qu’il comprenne, le prix de ses pains, de ses viennoiseries, c’est compliqué, tout le monde ne peut pas se le permettre. C’est bête hein. Ce discours, on l’entend tous, dans le secteur. On nous le répète, on nous l’assène, on nous le serine. « Oui, oui, on comprend bien que vous réclamiez le prix juste, mais pensez à celles et ceux qui ont des fins de mois difficiles, ils ne peuvent pas se la payer, votre alimentation de qualité. D’ailleurs, pour eux, c’est la double peine : ils mangent de la merde parce qu’ils n’ont pas le choix et qu’est-ce qu’ils y gagnent ? Une image pitoyable d’eux-mêmes, une santé qui trinque, comme la vôtre d’ailleurs et malgré les efforts, des dettes et des factures impayées… oui, comme vous aussi, c’est vrai ».

(CCO) L’amicale des Boulangers – Tanguy Wera

Oui, ce discours on l’entend tout le temps. Tellement qu’on en vient à se regarder entre nous avec méfiance ? C’est cher, c’est vrai. Mais est-ce que ce n’est pas la coopérative logistique qui aurait pris trop de marge ? Le transformateur ? L’épicier ? Et le producteur… c’est lui qui fixe son prix de départ après tout. Ah oui parce que ça aussi, c’est une règle dans la coopérative. C’est bête hein… mais ça non plus, ça ne tombe pas sous le sens pour beaucoup, soumis aux fluctuations du marché.

(c) Imagine Demain Le Monde – avec accord pour publication

Sandwich poulet croquant

Philippe est boulanger, donc, et un jour, il va chercher un sandwich dans un de ces snacks sans âme qui vient de fleurir dans le quartier, un quartier populaire de Liège, pas un bar à salade branché du centre-ville, une de ces sandwicheries comme il y en a 10 000, achalandées par les mêmes grossistes aux petites heures du matin. Philippe est boulanger, mais pas sectaire, pas fermé au point d’aller caillasser la vitrine de ceux qui vendent du pain industriel. Eux aussi ont le droit de nourrir leur famille. Philippe achète un poulet croquant. Oui, ce n’est sans doute pas un poulet labellisé « coq des prés » qui a gambadé dans les prairies de la province, mais Philippe n’est pas sectaire, je l’ai dit. D’ailleurs, la pureté, la cohérence, on nous la renvoie bien plus souvent au visage qu’on ne le revendique nous-mêmes.

Philippe rentre chez lui et il pèse son sandwich. Oui, des gens font ça, parfois. C’est loufoque, peut-être, mais c’est un moyen assez élémentaire d’avoir une idée du prix au kilo des choses. Résultat ? 27 €/kg. vingt-sept euros du kilo, soit 35 % de plus, au bas mot, que la moindre focaccia qu’il vend dans son magasin. La bouffe aux calories vides, trop sucrée, trop salée, trop transformée n’est pas juste une gifle pour ceux qui nous nourrissent : c’est un foutage de gueule en règle pour votre portefeuille.

L’amicale des boulangers – Tanguy Wera (CCO)

Anecdotique?

L’histoire de Philippe est anecdotique ? Hé bien non, en fait. Cela fait six ans que je m’investis dans les circuits courts alors des comparaisons, j’ai eu le temps d’en faire. Nos agrumes d’une coopérative de Sicile ? On en trouve des plus chers dans toutes les grandes surfaces, même celles qui disent casser les prix. Les légumes de nos maraichers ? Ils sont moins chers, je l’ai dit à tous les journalistes qui sont venus m’interroger. Les maraichers le disent eux-mêmes dans toutes les langues quand vous allez les trouver, sur leurs champs, sur les marchés.

Et oui, parfois, des produits de qualité, de la viande, du poisson, des plats préparés sont plus chers que la merde industrielle. Alors on apprend à en manger moins, à les savourer plutôt qu’à s’en goinfrer. C’est peut-être « donneur de leçon » de le dire comme cela. Ça me sera peut-être reproché, mais tant pis, je préfère défendre un modèle agricole vertueux plutôt que de brosser tout le monde dans le sens du poil. On n’a pas à se sentir coupables du modèle alimentaire dont on hérite, mais on est responsable d’appuyer sur tous les leviers pour le transformer.

(C) Imagine Demain Le Monde – Avec accord pour publication

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Commentaires

HERMANS
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Vous êtes la voix de la raison. Mais trop de gens sont devenus fous des prix bas à tout prix. Et ce n'est pas la publicité qui les décourage.