Non, je n’arrête pas la politique

Article : Non, je n’arrête pas la politique
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3 juillet 2023

Non, je n’arrête pas la politique

Je trouve toujours étrange de faire un sujet d’actualité à partir d’un évènement qui ne sera effectif que dans 521 jours. Enfin bon, puisque l’agenda médiatique juge le sujet pertinent pour un début d’été, je voudrais m’accorder le droit d’être maître d’une des versions qui circulera sur les raisons de mon choix.

Photo de Simonas Buteikis sur Unsplash (CCO)

Non, je n’arrête pas la politique

En revanche, oui, tout me pousse à penser que je ne reviendrai pas, endéans les 521 jours restants, sur ma décision de ne pas me représenter aux élections communales de 2024.

Si je reste persuadé que cette décision est un non-sujet, c’est parce qu’une trajectoire individuelle est une broutille au regard des thématiques qui devraient composer les unes des journaux. Rien n’est plus éloigné de la politique telle que l’on devrait l’envisager que la fatuité des égos surdimensionnés de certains.

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Portrait de l’ennemi à abattre

Un équipage

Porter avec honnêteté un projet politique ne peut être qu’une aventure collective. C’est l’évidence même. L’individu, seul, ne peut rien sans la coopération de ses semblables. Porter un projet ensemble, prendre part à une aventure collective, c’est accepter de n’être pas seul au gouvernail. Avec Didier, Albert, Marie, Yvonne puis Vanessa, j’ai accepté d’embarquer dans un collectif qu’on appelle collège communal. Si politique il y aura eu, durant les six années de mandatures, c’est parce que nous nous serons montrés capables de prendre des décisions collégiales. C’est une expérience humaine riche et précieuse que celle-là, je la souhaite à tout le monde.

Photo de NOAA sur Unsplash (CCO)

Dans la foulée, j’ai intégré quantité d’autres collectifs : le conseil d’administration du centre culturel, des Heures Claires, de Terre d’Herbage, du Fagotin, du domaine de Berinzenne, du contrat de rivière Amblève, du centre régional de la petite enfance, l’ASBL Région de Verviers, l’assemblée générale du Parc Naturel des sources et tout récemment la dynamique « Ce qui nous lie »…

C’est à ces collectifs que je dois l’ensemble des projets dont je pourrais (injustement) m’enorgueillir : le creusement de mares agricoles et forestières, le conseil communal des enfants, la perspective de chauffer la nouvelle maison de repos de La Gleize avec des plaquettes de bois local plutôt que du gaz russe, les écoles du dehors, les économies d’énergie et autres avancées durables des écoles, la rationalisation des points lumineux, les chemins et sentiers répertoriés et restaurés, les 2000 arbres plantés, les 7000 gobelets réutilisables, les 3000 caisses pour les maraîchers… autant de projets qui m’ont pris, certes, du temps et de l’énergie, mais qui en ont pris également à quantité d’autres acteurs, fréquemment bénévoles et trop nombreux pour être nommés.

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Ma langue de bois

L’équipage est nombreux et travailler avec lui est d’une inégalable richesse. Rarement dans ma vie j’aurai goûté au plaisir d’interagir avec une telle variété d’acteurs : environnementalistes, architectes, agriculteurs, artistes, directeurs et directrices de crèches, d’écoles et de maison de repos, spécialistes en tous genres et citoyens en toute simplicité.

Photo de Josh Calabrese sur Unsplash (CCO)

Un cap

Le cap est bon : on va dans la bonne direction : vers de meilleures performances énergétiques des bâtiments, vers des forêts et une agriculture plus résilientes, vers des élèves toujours plus éveillés à leur environnement et vers une forme de justice sociale qui, bien qu’imparfaite, guide bon nombre d’actions, en terme de mobilité, de logement, d’emploi, d’alimentation.

Mais le cap et l’équipage seuls ne font pas la navigation. Sans quoi, les Européens auraient atteint l’Amérique bien avant 1492. Encore faut-il que l’embarcation suive. Six ans, c’est suffisant, je crois, pour commencer à connaître les limites de la chaloupe à bord de laquelle nous sommes montés. Notre embarcation, la commune de Stoumont, a traversé des tempêtes : crise des scolytes, crise du Covid, surdensité de gibier, crise énergétique. Je crois que nous n’avons pas à rougir de la manière dont nous avons mené la barque à travers ces tourments. Mais ces éléments conjoncturels, même s’ils ont pesé dans ma décision de débarquer n’en sont pas la cause principale.

J’ai commencé la politique parce que je voulais contribuer à un futur désirable pour la collectivité. J’ai parfois vécu avec beaucoup d’amertume les résistances à l’élaboration de cet avenir souhaitable. Je l’ai déjà écrit ici, notre grand ennemi, ce n’est pas avant tout les actionnaires cupides, la droite intolérante ou les fonctionnaires tatillons, notre grand ennemi, c’est l’inertie qui nous pousse à continuer à foncer droit dans le mur malgré les signaux d’alarme.

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Je déteste faire grève

Par la méditation, par la philosophie, mais surtout par l’amour et l’amitié, j’ai appris à vivre cette fuite en avant sans résignation mais avec sérénité. Je chéris ces mots de Baptiste Morizot : « Je n’ai pas pour projet de sauver le monde. Mon problème n’est pas d’empêcher une catastrophe qui me dépasse mais de porter quelque chose qui aurait du sens dans tous les futurs possibles. »

Photo de Luca Bravo sur Unsplash (CCO)

Un double-choix

Seulement, je ne peux pas nier que, me représentant aux électeurs et électrices stoumontois pour six nouvelles années, je ferais un double choix, l’un volontaire, l’autre contraint.

Le choix volontaire serait de dire « il reste des projets à mener, je vais mettre l’énergie qu’il faut pour continuer à garder le cap dans la bonne direction », c’est là quelque chose dont je suis persuadé en mon for intérieur.

Mais le choix contraint qui vient avec dit aussi « je cautionne ce système, j’en respecte les règles et je crois qu’il peut, si on en maîtrise bien les rouages, nous amener à bon port, à temps et en ne laissant personne de côté » et cela, je ne le crois pas.

Non credo

Je ne crois pas qu’une commune de 3000 habitants, avec les moyens financiers, les moyens humains, les contraintes et les obligations qui pèsent sur elle soit à même de faire face, en l’état, aux défis qu’imposent les enjeux du 21e siècle.

Je ne crois pas que dans un monde où les années de sécheresse succèdent aux années d’inondations, on puisse se satisfaire de procédures de permis d’urbanisme nécessaires pour le creusement de mares agricoles qui prennent des mois, voire des années et nécessitent d’interroger sept fonctionnaires dans sept bureaux différents pendant que notre maison brûle.

À l’heure où tout nous crie que la moindre politesse que l’on doive à nos enfants, quitte à leur léguer un monde en ruine, est de les nourrir correctement, je ne crois pas qu’on doive se résigner à renoncer à mettre en place des cantines durables parce que ce ne serait pas rentable. C’est un non-sens et je ne peux m’y résigner.

Je ne crois pas qu’après les crises Covid, on puisse accepter les conditions de travail du personnel soignant et les soins chaque fois plus expéditifs accordés aux aînés sous prétexte que le cadre ne nous permet pas d’engager suffisamment de personnel, de traiter dignement les mains qui apaisent et les corps usés.

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Ascenseur émotionnel

Je ne crois pas qu’on puisse encore sérieusement se regarder dans les yeux et se dire que la commune la moins bien desservie de Belgique en transports publics peut se satisfaire du tout à la voiture en 2023, à l’heure où, on le sait, 10 000 personnes meurent chaque année de la pollution de l’air en Belgique et où les mines de cuivre, de nickel, de lithium et de cobalt ne promettent pas des lendemains plus glorieux à ceux qui les extraient.

Je ne veux pas employer mon énergie à expliquer que « que voulez-vous, c’est ainsi !», « c’est les règles, il faut les respecter, sans quoi, c’est le chaos !». Je ne suis d’ailleurs pas si sûr qu’un monde où on pourrait nourrir nos enfants en circuits courts, creuser des mares sans permis d’urbanisme, soigner nos aînés dignement et rouvrir une gare à Stoumont serait synonyme de chaos. Au pire, si c’est cela, l’anarchie, je pense que je ne suis pas loin d’aspirer à une forme d’anarchie.

Photo de Aaron Burden sur Unsplash (CCO)

Espoir et loyauté

Par respect tant pour ceux qui m’ont élu que pour ceux qui y croient encore et dont j’admire le travail, je m’investirai jusqu’au bout à 100%. C’est cela aussi, le collectif. J’y puise mon énergie et elle sera intacte jusqu’au bout. J’ai d’ailleurs le sentiment qu’agir sans aucune ambition d’être réélu m’assure d’être encore plus aligné avec les principes et les convictions qui m’animent.

Après cela, continuerai-je la politique ? Bien sûr que oui. Parce que tout est politique et que je ne compte pas m’extraire du monde que nous partageons. On y fait tous de la politique, qu’on le veuille ou non et je préfère la faire que la subir. Comment ? Peu importe. Mais vu mon goût pour le collectif, je peux déjà vous annoncer que je ne resterai pas tout seul dans mon coin.

Photo de Ömer Serdar Ören sur Unsplash (CCO)
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Commentaires

Pierre Vandermoere
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Chapeau bas l'ami.

Michèle Maquet
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Bravo pour ta clairvoyance et ta détermination...