Jour de départ

Article : Jour de départ
Crédit: Diego Ph
24 octobre 2021

Jour de départ

CCO : Photo by maxime niyomwungeri on Unsplash

Depuis des années, comme vous, je vois s’accumuler les nouvelles qui éteignent un à un nos espoirs : climat dérégulé, destruction du vivant, épidémies, pauvreté exacerbée par l’égoïsme des nantis, noyades, bastonnades et camps de la honte aux portes de l’Europe. Années après années, le temps perdu de l’inaction ajoute à sa triste collection davantage d’espèces disparues, de lieux à jamais détruits et laisse un avenir chaque jour un peu plus terne et gris.

Des larmes d’hier

Depuis des mois, l’énergie que je mets pour construire un monde plus désirable est sapée par ceux qui préfèrent entraver cet élan pour nourrir l’éclat des stériles querelles et le confort éphémère de l’inertie.

Demain, je m’envolerai pour un voyage à la rencontre de ce que nous avons commis de plus atroce envers nos semblables. Comme si la noirceur du tableau ne suffisait pas, je consacrerai toute mon énergie à tenter de comprendre l’indicible horreur d’un génocide, à mettre mes pas dans ceux des victimes et des bourreaux de 1994 et à me laissant bouleverser par des visages, des lieux et des récits.

CCO Photo by Yoal Desurmont on Unsplash

Alors depuis des semaines, je me demande ce qui me donnera la force d’affronter ça, ce qui me permettra de regarder mes enfants dans les yeux en leur disant la vie est belle. Les larmes me sont si souvent venues en tant d’occasions futiles que je me sais foncièrement incapable de me construire une carapace d’indifférence.

Pourtant ce matin, sans m’y attendre, comme on accoste, surpris, aux rivages inattendus d’une interminable tempête, ce matin en bouclant ma valise, j’ai trouvé la sérénité paisible des questions résolues.

Aux rires d’aujourd’hui

Dans l’innocent éclat de rire d’un gamin, dans l’entrain sans artifice d’une poignée d’étudiants, dans le sourire sincère d’une mère ou la clarté lumineuse des rides d’un grand-père, il y avait cette évidence.

Dans ces visages, il y avait cette absolue certitude, celle que le remède à nos douleurs intimes et aux atrocités planétaires est identique. Ce remède tient dans une chose dérisoire : l’incroyable sensibilité qui fait battre nos cœurs. Face au pire et à l’intolérable, il n’y aurait rien de plus idiot que de vouloir se rendre indifférents au monde. Au contraire, soyons hypersensibles, à vif, à fleur de peau. Débridons nos larmes, laissons-nous dévorer par la passion.

Pour la force des initiatives innombrables qui redonnent foi en l’humanité, pour la beauté des soirs d’automne, pour les grisantes mélodies des plus grands virtuoses, pour les saveurs nouvelles des fruits gorgés de soleil, soufflons sur les braises de la flamme qui nous consume.

Rions. Rions intensément aux pâles tentatives du vieux monde qui court derrière nos élans de jouissance et tente de s’acheter des campagnes ventant d’illusoires promesses de « toujours plus de love pour les clients de notre banque ». Rions avec la candeur lucide de celles et ceux qui ont goûté au bonheur à l’état brut et ne jouiront jamais plus des contrefaçons publicitaires.

CCO – Photo by Kenrick Mills on Unsplash

Et les promesses de demain

Car seules les véritables palpitations sont à même de nous faire affronter les orages et savourer la douceur du zéphyr. Ce sont les mêmes nuits glaciales qui nous font voir l’étendue de la noirceur de l’horizon et la clarté des étoiles. Et au matin du jour suivant, transis de froid, fourbus, cassés, nous serons là et rebâtirons nos cathédrales sur les cendres d’un paradis perdu. Demain, nous gagnerons. Pas parce que nous sommes les plus forts : nous sommes incroyablement fragiles, pas parce que l’histoire avance dans un sens déterminé : le progrès et le grand soir ont fait leur temps, mais parce que nous mettons toute notre énergie à semer du désirable sur la friche des contraintes de la terre dont nous héritons.

Alors, vivons. Vivons intensément, avec la naïve lucidité des enfants qui croient aux promesses de l’aube. Chaque minute où l’on trompera le désespoir en rêvant à mains nues sera du temps retrouvé.

À bientôt.

CCO Photo by Wolfgang Kuhnle on Unsplash

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Commentaires

Pacha
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Bon voyage mon cher Tanguy. Sois prudent

Marina Tem
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"...parce que nous mettons toute notre énergie à semer du désirable sur la friche des contraintes"
Magnifique, tellement de justesse dans vos mots ^^

Tanguy Wera
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Merci :-)