Ne vous en faites pas pour nous
Nous étions candidates et candidats de gauche écologiste aux élections qui viennent de s’achever. Nous essuyons une défaite cuisante. Demain, les rangs seront clairsemés parmi les représentants démocrates des préoccupés par l’environnement et la justice sociale. Alors à celles et à ceux qui se demandent comment nous allons, j’aimerais répondre ceci : ne vous en faites pas pour nous.
Certains, parmi nous, me ressemblent : jeune, blanc, diplômé, en bonne santé, hétéro, propriétaire, salarié, jouissant du cadre exceptionnel d’un habitat à caractère rural. S’il y a une seule chose à retenir de cette soirée, c’est qu’il n’y a pas à s’en faire pour nous. Pour des gens comme moi, les effets d’une défaite pareille ne sont pas plus douloureux que ceux d’une gueule de bois : un paracétamol, un grand verre d’eau, une bonne nuit de sommeil et ça passera.
Demain
Parce que le monde de demain menace d’être bien moins tendre avec les demandeurs d’asile, les sans-papiers et tous ceux qui traversent la Méditerranée par contrainte, il faudra s’en faire pour eux et resserrer les rangs, soutenir les associations d’aide aux migrants.
Parce que les plus fragiles d’entre elles pourraient si facilement redevenir des oubliées, parce que construire de nouveaux centres de prise en charge des violences sexuelles ne sera plus une priorité, il faudra tendre l’oreille à toutes ces femmes qui subissent au quotidien le sexisme ordinaire ou les coups de leur conjoint.
Parce que « quand on veut, on peut », que « le travail paie toujours », « il suffit de traverser la rue… », il faudra tendre l’oreille et la main à tous ces chômeurs qui seront encore plus stigmatisés demain, qui perdront peut-être leurs droits. Il faudra écouter leurs situations particulières pour faire entendre que non, les discours simplistes sur la masse de fainéants n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité de parcours de vie cabossés.
Eux aussi
Parce qu’ils sont Ouïgours, filles et fils d’immigrés ou parce qu’ils habitent au fond d’une vallée inondable. Parce qu’ils sont artistes, transgenre, petits producteurs locaux qui ne correspondent pas au modèle de l’entrepreneur-winner de la société cotée en bourse. Parce qu’ils sont porteurs de handicaps, malades, drogués et que, pour tout un tas de raison, ils ne peuvent faire résonner avec force leur parole. Parce qu’il est illusoire qu’ils puissent, dans les années à venir transformer cette parole en décisions qui changent la vie, en projets de loi qui sécurisent et qui protègent… Il faudra être sur le terrain. Aux côtés de ces dizaines d’acteurs associatifs, militants, syndicaux, il faudra porter la voix des sans-voix.
Et parce qu’elle n’est encore qu’un bébé dans le ventre de ma chère et tendre. Parce qu’elle n’a pas encore fait résonner son premier cri, mais que déjà, on lui prépare un monde à + 2 °, un monde où six des neuf limites planétaires ont été dépassées, un monde où 60 % de oiseaux des champs ont disparu, ces oiseaux que ses grands frères traquent, jumelles aux poings… parce qu’eux non plus, n’ont pas voté, mais qu’ils n’auront pas d’autre choix que de vivre dans le monde qu’on leur prépare…
Hé bien il faut s’en faire pour eux tous, bien plus que pour nous.
Transformer l’inquiétude
Il nous faudra transformer l’inquiétude en action, par les mille et un autres canaux qui, en marge des parlements, rendent notre monde plus solidaire, plus ouvert et plus doux. Et ne vous en faites pas pour nous : on compte bien mettre l’énergie qu’il faudra pour y parvenir.
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