Lettre d’un automobiliste wallon…

Article : Lettre d’un automobiliste wallon…
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2 septembre 2024

Lettre d’un automobiliste wallon…

…à ses voisins bruxellois

Chers voisins,

On ne s’est peut-être jamais rencontrés, vous et moi. Mais comme on respire le même air, je crois que je me devais de vous écrire.

Il y a quinze jours, comme un mauvais rêve éveillé, j’ai revécu cette scène à l’identique. Je sortai de la maternité avec un nourrisson dans les bras : ma fille, Anna. Comme pour ses frères avant elles, ses premiers instants « au grand air », furent de traverser un parking bondé où les véhicules, moteurs tournants, disséminaient dans ses poumons fragiles leurs poisseuses particules.

Pendant 72 h, le corps médical au complet l’avait couvée de ses soins prévenants. Dès notre retour à la maison, je ferais tout — des produits d’hygiène aux légumes du jardin — pour qu’une vie saine s’offre à elle. Mais entre les deux, je n’avais à lui offrir, comme rempart à cette attaque insidieuse, que l’inutile barrière du creux de mon épaule. À chaque fois, cette impuissance me rendait malade.

Photo de Mark Chan sur Unsplash

Faire partie du problème

Il m’était d’autant plus pénible d’y faire face que j’avais évidemment conscience de faire moi-même partie du problème. Pour rentrer chez nous, à 45 kilomètres de là, il me faudrait, moi aussi, tourner les clés sur le contact et disperser dans l’atmosphère les mêmes gaz d’échappement. À la frustration de l’impuissance s’ajoutait le malaise de l’une de ces incohérences qui, pour faire partie de notre imparfaite humanité, n’en est pas moins un caillou dans la chaussure.

Mais voilà, j’habite la commune de Belgique la moins bien desservie de Belgique en transports en commun. J’ai choisi de m’y investir corps et âme pour y améliorer le cadre de vie. Est-ce que cela compense ou excuse les trajets que je n’effectue pas à vélo ? Je n’en sais rien. J’aime à penser que les humains que nous sommes ne sont pas que des tableaux Excel et que notre impact sur le monde est infiniment plus complexe qu’un quota de CO2.

Photo de Ben Morris sur Unsplash

Le même air ?

À la réflexion, ce que j’ai dit n’est pas correct : nous ne respirons pas le même air.

Dans une commune rurale où 60 % du territoire est forestier, où il y a plus d’animaux d’élevage que d’habitants et où l’on compte moins de 30 habitants au km², Anna et ses frères ne respireront assurément pas le même air que celui qui emplira les poumons des enfants de Schaerbeek, de Saint-Josse ou d’Anderlecht.

Photo de Ayelt van Veen sur Unsplash

Alors en pensant à ces enfants qui naissent à Bruxelles, en pensant aux grands-parents impatients de les serrer dans leurs bras, je l’avoue, j’étais en paix avec l’idée que, d’ici quelques mois, ma voiture ne rentrerait plus dans la capitale. Les scientifiques avaient été formels, les politiques les avaient pour une fois suivis et je savais, pour l’avoir fait tant de fois, qu’il était de toute manière, bien plus aisé d’aller se former, manifester, visiter des musées, écouter des concerts ou passer des entretiens d’embauche à Bruxelles en transports en commun.

Cynisme et beaux discours

Étais-je étonné que les mêmes élus qui relativisent depuis tant d’années les constats scientifiques sur la pollution le fassent une fois de plus, sitôt les écologistes éconduits ? Sans doute pas.

J’aurais pu croire que 10 000 morts par an suffisaient à une once de courage politique. Mais non, être populaire en période électorale vaut semble-t-il plus que cela.

Photo de Zhu Yunxiao sur Unsplash

Je pourrais rire, dans un cynisme confortable, en entendant l’argument de la justice sociale brandi par ceux qui, dès demain, renâcleront tant à user des mêmes mots s’ils les contraignent à offrir aux enfants, des cantines durables et gratuites.

Je pourrais rappeler, moqueur, que ceux-là mêmes qui criaient, hier, au scandale, face à de possibles pollutions de l’eau, répètent à qui veut bien les entendre à quel point l’air d’une capitale congestionnée est, pour sa part, au-dessus de tout soupçon.

Mais jamais les rires moqueurs n’ont ramené à la vie une grand-mère partie trop tôt. Jamais le cynisme n’a rempli d’oxygène les poumons d’un nouveau-né. Alors, faites-moi une promesse, voisins de la capitale, ou plutôt, un serment puisque les promesses suivent ces temps-ci le sens du vent : si jamais vous voyez la carcasse de mon moteur diésel entrer dans la capitale, dégonflez mes pneus ! Si certains ne manquent pas d’air, je n’aurai pour ma part pas l’indécence criminelle de venir polluer le vôtre.

Photo de Alex Vasey sur Unsplash
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